Lions en Club

Entre les braquages et la prison, la surprenante rédemption de Daniel Keita

En Allemagne, seuls deux joueurs ont réussi à devenir footballeurs professionnels après avoir été incarcérés. Le dernier en date se nomme Daniel Keita-Ruel. Il a 30 ans, joue en D2 avec Greuther Fürth et a passé quatre longues années en prison, de 22 à 26 ans. Arrêté pour une série de braquages, ce Franco-Sénégalais passé par le centre de formation du Borussia Mönchengladbach croque aujourd’hui la vie à pleines dents et rêve de prouver à tous qu’il est capable de marquer des buts en Bundesliga. Après tout, ce ne serait pas la première promesse qu’il parviendrait à tenir.

En l’an 2000, l’Allemagne se trémousse sur le hit du chanteur Christian Möllmann « Es ist geil, ein Arschloch zu sein. » Une formule qui, de l’autre côté du Rhin, se traduit par « C’est trop génial d’être un connard. » Vingt ans plus tard, les librairies allemandes sont prises d’assaut depuis la sortie de l’autobiographie de Daniel Keita-Ruel qui, du haut de ses 30 ans, affirme haut et fort que, non, « ce n’est pas cool d’être un connard ». Cet attaquant franco-sénégalais en sait quelque chose : il a passé quatre ans en prison après une série de braquages commis entre les mois de juillet et d’octobre 2011 à Wuppertal, sa ville natale. Quatre longues années qui auraient pu définitivement ruiner ses espoirs de devenir un jour footballeur professionnel. Sauf que son rêve était plus fort que tout et qu’aujourd’hui, Daniel Keita-Ruel est le deuxième meilleur buteur de Greuther Fürth, un club qu’il a rejoint en 2018 et avec qui il est toujours en course pour monter en Bundesliga. S’il y parvient un jour, on pourra alors dire que sa prophétie s’est accomplie. Car en dépit des conneries, Daniel Keita-Ruel a toujours été programmé pour marquer des buts.

Zizou et le Bolzplatz

Pour comprendre l’histoire de celui qui se fait surnommer tout simplement « Keita », il faut rembobiner la bande jusqu’en 1989, l’année où il voit le jour à Wuppertal, une ville du Land de Rhénanie du Nord-Westphalie, située entre Cologne et Düsseldorf. Sa sœur Myriam et lui sont les enfants de Chérif Keita, « Avec ma mère, on parle aussi un peu italien de temps en temps. Pour elle, c’est facile parce que sa famille est d’origine corse. Moi, je l’ai appris quand j’étais en prison. » un musicien sénégalais tombé amoureux de Françoise Ruel qui, après avoir étudié les langues à l’université de Saint-Étienne, profite du jumelage entre la cité du Forez et celle de la Ruhr pour y effectuer une année d’échange et fuir la pression de sa famille, laquelle aurait souhaité qu’elle se dirige vers l’enseignement. Françoise aurait préféré voyager et travailler dans le domaine de la culture ; elle n’a finalement jamais quitté Wuppertal, où elle travaille depuis 23 ans dans un jardin d’enfants franco-allemand. « Ça veut dire que les enfants y apprennent les deux langues », explique son fils dans un français parfait. Avec sa mère, c’est d’ailleurs dans la langue de Molière qu’il converse. « On parle aussi un peu italien de temps en temps. Pour elle, c’est facile parce que sa famille est d’origine corse. Moi, je l’ai appris quand j’étais en prison. »

Avant d’ajouter une nouvelle corde à son arc linguistique, Daniel s’exprimait déjà à merveille avec un ballon entre les pieds. Enfant de la première étoile des Bleus, son idole de jeunesse se nomme tout naturellement Zinédine Zidane. « Dans ma tête, je suis français, pas allemand. C’est pour lui que je porte encore aujourd’hui le numéro 10 dans le dos. Pour mes potes allemands de l’époque, c’était plutôt le 13 de Ballack. Pas mal non plus, mais le plus grand joueur de tous les temps, c’est Zizou. Personne ne peut dire le contraire », affirme celui qui, sur le terrain, évolue pourtant à la pointe de l’attaque et, aujourd’hui encore, revient à Paris dès qu’il en a l’occasion « pour manger chez César, mon restaurant préféré » ou pour voir son pote Thilo Kehrer.

Lorsqu’il a six ans, Daniel va passer sa première détection au Borussia Wuppertal, « la pire équipe de la ville », bien loin du prestige que renvoie le Wuppertaler SV, pensionnaire du légendaire Stadion am Zoo et brièvement apparu en Bundesliga dans les années 1970. Alors que ses condisciples sont harnachés en parfaits petits footeux des pieds à la tête, Keita fait montre de son talent sapé d’un simple jean. Et pour cause, ses matchs se jouent d’habitude dans la rue, sur ce que les Allemands appellent le Bolzplatz, un terrain de béton entouré d’une cage, sur lequel Mesut Özil ou les frères Boateng ont par exemple fait leurs classes. « Le Bolzplatz, c’était super parce que je jouais toujours contre des gars plus vieux que moi. Ils avaient du respect pour mon style de jeu et j’étais le seul de mon âge qui avait le droit de jouer avec eux. Les matchs sont beaucoup plus durs parce qu’il n’y a pas d’arbitre au milieu. Mais en Allemagne, on dit toujours que le meilleur profil, c’est celui qui combine le Bolzplatz et le professionnalisme d’un club. Si tu as ce mélange de technique et d’agressivité avec une tête bien faite, c’est ce qui peut t’arriver de mieux. »

Des jambes de Buli, une tête de district

Le problème de Daniel, c’est qu’il lui aura fallu un peu de temps pour façonner cette « tête bien faite », justement. L’enfance se fait sans père, « dans un quartier qui ressemble à l’image qu’on peut se faire de la banlieue parisienne : des grands immeubles, des gars qui traînent, qui vendent de la drogue, des bagarres… » Mais cela ne fait pas de lui un délinquant pour autant. Pas forcément mauvais à l’école, Daniel se distingue en maths et en religion. Même si ses profs comprennent bien vite que c’est en EPS qu’il est le plus doué. Direction la filière sport-études dans un lycée spécialisé où il acquiert, presque logiquement, le statut d’un des meilleurs jeunes joueurs de la ville. Toujours bien entouré, Keita progresse à son rythme et refuse à ce titre une offre du MSV Duisbourg. Par amitié aussi, il dira non au Fortuna Düsseldorf et au championnat national de jeunes, simplement parce que contrairement à lui, son pote Burak n’avait pas été retenu le jour de leur détection.

Et puis à dix-sept ans, le téléphone sonne. C’est le destin, son destin, qui l’appelle : « Ici Uli Sude, responsable de la formation au Borussia Mönchengladbach. Vous avez une minute ? » Non seulement Daniel a une minute, mais en plus, « J’aurais pu signer à Mönchengladbach pour quelques briques de Capri-Sun et un sac de pommes de terre. Mais là, j’étais vraiment gâté. Tu gagnes des sous, tu signes un contrat avec Nike, on te donne tout ! »il est prêt à traverser le gué. En même temps, qui pourrait refuser une offre pareille ? « J’aurais pu signer à Mönchengladbach pour quelques briques de Capri-Sun et un sac de pommes de terre », se souvient-il. Il y aura évidemment bien plus que ça : « J’étais vraiment gâté. Tu gagnes des sous, tu signes un contrat avec Nike, on te donne tout ! » Honoré de quelques entraînements avec le groupe pro, Daniel fait la connaissance de Steve Gohouri, tragiquement décédé par noyade en 2015. « C’était comme un grand frère pour moi. Il m’emmenait à des fêtes avec lui et me faisait vivre sa vie de pro. Du coup, dans ma tête, je croyais être une star. Au quartier, je donnais l’impression d’avoir déjà disputé 100 matchs de Bundesliga… Mais en vérité, je n’avais jamais joué avec les pros. À cette époque, j’avais du talent, mais ma tête n’était juste pas au bon endroit. »

Le manager de Gladbach, Max Eberl, ne dirait pas le contraire. C’est en effet une décision particulièrement immature qui va, contre toute attente, précipiter le renvoi de Daniel Keita-Ruel du Borussia. Alors que son contrat lui interdit de participer à d’autres matchs que ceux de son club, le gamin de Wuppertal pêche par amitié et revient défendre les couleurs de son ancienne école lors d’un tournoi en salle. Malgré le show attendu sur le terrain, il perd ses nerfs en finale face aux assauts des défenseurs qui veulent se payer la star locale. Bilan : un carton rouge et cinq matchs de suspension. « Il a les jambes en Bundesliga, mais la tête en district », résumait Max Eberl au sujet de Keita. Lui qui rêvait de devenir professionnel a vu s’envoler ce qui devait être sa meilleure chance. Et la chute vers le bas ne fait que commencer.

Braquages à l’italienne

Daniel a dix-huit ans et rebondit en D4, à Bonn. Pendant un an, il joue milieu offensif et continue d’apprendre. Lorsque le Wuppertaler SV le rappelle ensuite pour assurer son maintien un échelon plus haut, il n’hésite pas à rentrer au bercail. Sauf que le maintien n’est finalement pas validé et que Daniel passe l’été suivant à ronger son frein, attendant de savoir ce qu’il adviendra de son contrat. On le croise alors souvent au restaurant italien Don Camillo & Peppone, sur la Laurentius-Platz. Pendant que sa mère et sa sœur vivotent dans le Sud de la France, Keita tue le temps en taillant des bavettes avec Giuseppe, son pote cuistot. Il a un peu de blé de côté, mais il est désœuvré. À l’heure qu’il est, il devrait normalement se préparer à jouer en Bundesliga avec Gladbach, mais non, tout c’est derrière lui. Marko Marin, l’un de ses camarades de promo, a réussi à faire partie des 3% à percer dans le groupe pro. Lui non. Et c’est alors qu’arrive Mario. On ne sait pas trop ce qu’il fait dans la vie, il gère des « affaires criminelles propres », comme il dit. Et il fréquente souvent le Don Camillo & Peppone. Giuseppe le connaît bien, c’est donc tout naturellement que Mario commence à s’incruster dans les conversations avec Daniel.

En cet été 2011, Daniel est naïf, il ne sait pas trop où il en est. Il attend de savoir de quoi son avenir sera fait, mais sans trop prendre les devants non plus. Mario a bien une idée : un grand gaillard d’1,88 mètre dans la force de l’âge, ça pourrait faire un bon braqueur, non ? Pas des surfaces de réparation, mais plutôt de boutiques de fringues, de kiosques à journaux, de bureaux de poste, de magasins de bricolage… Évidemment, Mario n’est pas con. Alors il introduit la chose avec subtilité : du fric facile, aucun risque, pas d’armes… Daniel ne se dit « pourquoi pas ? » Et ça y est. Il est passé dans le camp des malfrats. Les réunions se font dans la cave du resto de Giuseppe. Mario reste en retrait et commandite des opérations « sûres à 100% », tandis que Daniel et d’autres complices se coltinent le travail de terrain. Après la boutique de fringues et le kiosque à journaux, Keita a quelques milliers d’euros supplémentaires en banque. Une banque qui prend la forme d’un sac plastique planqué derrière l’armoire de sa chambre, histoire d’éviter que sa maman ne tombe dessus. Est-ce que cette vie lui plaît pour autant ? Non. « J’étais dans une paranoïa constante. Il n’y avait que sur le terrain que j’arrivais à oublier, le temps de quelques heures, dans quelle situation je m’étais mis. » Car côté football, Daniel n’a finalement pas bougé de Wuppertal. Il aimerait se reconcentrer pleinement sur son objectif de devenir professionnel.

Sauf que Mario et sa bande ne l’entendent pas de cette oreille. « Ils ne me menaçaient pas ouvertement en me tenant un flingue sur la tempe ou ce genre de truc. La pression était plus subtile : ils évoquaient le nom de ma mère, de ma sœur, de mes amis, et leurs ricanements en disaient très long. Je le savais : ils me contrôlaient totalement. » Daniel se sait traqué. Il a mis le doigt dans l’engrenage d’une machine trop puissante pour lui. La situation devient intenable et le changement d’attitude, de plus en plus flagrant : sa mère et sa copine sont interpellées par ce repli sur lui-même, ses potes s’étonnent de le voir fuir en entendant une sirène de police, et son banquier est surpris par sa demande d’ouvrir un coffre-fort. La solution idéale serait de trouver un club loin de Wuppertal, pour continuer à jouer au foot tout en fuyant cette vie infernale qui est devenue la sienne. Mais les semaines passent et deux braquages plus tard, le couperet tombe. Daniel et ses complices découvrent qu’on n’a pas tout le temps l’occasion de fuir et se font arrêter par la police le matin du 8 novembre 2011.

Verdict, piment de Cayenne et solitude

Au moment de son arrestation, l’esprit de Keita s’embrouille. « Une part de moi-même se sentait ôtée d’un poids. […] « Chaque jour, je me sentais un peu plus merdique. Je voulais juste que ma vie de petite frappe se termine enfin. Et soudain, j’étais là, dans une voiture, à regarder le ciel de Wuppertal, les menottes aux poignets… » Délivrée. […] Mes dernières semaines avaient été un enfer. […] Chaque jour, je me sentais un peu plus merdique. Je voulais juste que ma vie de petite frappe se termine enfin. Et soudain, j’étais là, dans une voiture, à regarder le ciel de Wuppertal, les menottes aux poignets et je me disais : “Enfin. Toute cette merde est enfin derrière moi.” » Vraiment ? Naïvement, Daniel croit qu’avec son casier vierge, il s’en tirera – au pire – avec un peu de sursis et quelques heures de travail d’intérêt général. Sauf qu’en Allemagne, la justice prend très au sérieux les attaques à main armée en bande organisée, et aucune faveur ne lui est accordée. Pensant un temps être libéré sous caution, Keita déchante bien vite lorsque le procureur fixe celle-ci à un million d’euros. Qui serait prêt à débourser une telle somme pour un jeune footballeur coupable de délits à répétition, même en tant que simple exécutant ? Personne.

Incarcéré dans l’attente de son procès, Daniel fait la connaissance d’un milieu qu’il ne connaissait qu’à travers les on-dit et les séries télé. En prison, s’il ne subit pas de violence physique, il fait cependant face à une forme de violence morale : la solitude et l’incertitude. Lorsque son procès s’ouvre finalement sept mois plus tard, il sait pourtant qu’il ne pourra pas échapper à une condamnation ferme. Dans les couloirs du palais de justice de Wuppertal, les médias se sont pressés pour couvrir l’audience de cet ancien espoir déchu du football allemand. Lui qui pensait pouvoir leur faire face commence finalement par demander une interruption de séance pour aller reprendre ses esprits aux toilettes. Le choc est trop brutal. Tout au long des débats, Daniel adopte une position froide et renfermée. Ce qu’il considère comme de l’humilité est perçu en face comme de l’arrogance. À tel point que le jour du verdict, il subtilise un peu de piment de Cayenne dans la cuisine de la prison où il a trouvé un emploi et se frotte les yeux avec pour provoquer une crise de larmes au moment où il implore le pardon de ses victimes. Mais la stratégie ne fonctionne pas. La Justice le condamne à cinq ans et demi d’emprisonnement.

Alors qu’il pense négocier une remise de peine dans une prison ouverte, le deal capote lorsqu’on lui apprend que Giuseppe, son pote du resto italien qu’il tentait de protéger en affirmant que ce dernier n’était pas impliqué, a finalement avoué sa complicité dans les casses. « Le juge m’a fait payer le fait d’avoir protégé mon copain et m’a dit que j’allais payer pour ça, que je ne jouerais plus jamais au foot, murmure-t-il aujourd’hui. Quatre ans en prison, c’est énorme ! Je suis rentré avant des gens qui sont sortis avant moi et qui avaient été condamnés pour des bagarres dans lesquelles il y a eu des morts. Ce n’est pas normal. Des six de la bande, je suis le seul à avoir effectué l’intégralité de ma peine en centre fermé. Alors que j’étais le plus jeune, que je n’avais jamais été condamné par le passé et qu’un contrat dans un club m’attendait à la sortie. »

Largué le jour de la Saint-Valentin

En prison, Daniel continue de vivre isolé, en raison du régime imposé aux braqueurs. Un régime qui l’empêche d’assister aux funérailles de son père, décédé pendant son incarcération. L’administration pénitentiaire exigeait en effet qu’il s’y rende pieds et poings menottés. Inconcevable. Grâce à l’intervention de l’aumônier de la prison, on lui concède finalement de ne porter les pinces que le temps du trajet. Mais le matin de la mise en terre, on ne viendra finalement jamais le chercher. Officiellement en raison d’un risque d’évasion trop important. « Deux semaines plus tard, le père d’un codétenu emprisonné pour meurtre est décédé. Il a obtenu l’autorisation d’assister à ses funérailles sans conditions. »

Ce n’est pas le seul coup de poignard qu’il reçoit. Un an après son incarcération, le jour de la Saint-Valentin, sa copine lui rend visite pour lui annoncer qu’elle le quitte. Elle ne supporte plus la situation. Daniel serre les dents et s’accroche à son rêve : faire partie des 22% de détenus allemands à réussir leur réinsertion, en devenant footballeur professionnel. « Ce qui m’a fait tenir, c’était de savoir qu’à l’extérieur, j’avais ma maman et mes copains derrière moi, mais aussi un club de foot prêt à me donner un contrat. Je recevais des visites toutes les semaines, on m’écrivait des lettres… D’autres détenus n’avaient rien de tout ça. Le déclic est venu de là. » Et de rappeler le funeste destin de son voisin Benjamin, un père de famille qui, six mois avant sa sortie, s’est pendu aux barreaux de sa cellule après que sa compagne lui a annoncé sa décision de rompre avec lui. Un récit tragique qui participe à faire travailler Daniel chaque jour dans le même but, avec le soutien indéfectible du responsable des sports de la prison qui croit également en son talent et voit en lui un détenu modèle. Suffisant pour lui offrir un emploi d’agent d’entretien des installations sportives et la possibilité de s’entraîner au quotidien. « Quand je jouais au foot avec les autres prisonniers, ils me disaient : “Qu’est-ce que tu fais dans une cellule alors que tu devrais jouer en Bundesliga ?” Et moi je m’accrochais pour leur montrer qu’ils avaient raison de croire en moi. »

Lorsque la psychologue de la prison discute du projet de réinsertion de Daniel alors que la fin de sa peine approche, le discours n’a pas changé : il veut toujours devenir footballeur professionnel. Sauf que Mme Fischer ne l’entend pas de cette oreille. L’idée relève de l’utopie, il serait bien plus réaliste d’entreprendre une formation de jardinier-paysagiste tout en continuant de taper le cuir le dimanche. « Dans son rapport, la psy a écrit que j’étais fada, que j’étais trop jeune dans ma tête, que je rêvais. Mais la prison n’a pas réussi à me sortir mon rêve de la tête et à briser mon talent. J’ai trop confiance en moi. Plus on me disait le contraire, plus je m’entraînais à la salle de sport et dans ma cellule. Et je leur répondais toujours : vous verrez un jour, j’y arriverai. » Heureusement pour Daniel, Mme Fischer est alors enceinte, et lorsqu’elle part en congé maternité, son remplaçant se révèle beaucoup plus compréhensif et lui accorde son transfert en prison ouverte.

À la recherche du temps perdu

Enfin, Daniel peut recommencer à jouer au foot, au Germania Ratingen, pensionnaire de D5 qui lui avait promis une place dans son effectif. Mais son passage en semi-liberté tourne court puisqu’à la suite d’un retour tardif, il est renvoyé en centre fermé. Jusqu’à ce jour où, alors qu’il travaille en cuisine, on vient lui annoncer qu’il est définitivement libre, après quatre ans passés derrière les barreaux. Une nouvelle vie peut enfin commencer, et son chemin est tout tracé vers le haut. Après Ratingen, il grimpe d’un échelon à Wattenscheid, où il fait la connaissance du frère de Leroy Sané, avant de signer en D3 au Fortuna Cologne, malgré un appel du pied de Paderborn, connu pour avoir accueilli Süleyman Koç, seul joueur avant lui à être passé derrière les barreaux. « On s’est rencontrés après ma libération, c’est devenu un ami » , sourit Daniel, qui aurait peut-être déjà connu la Bundesliga s’il s’était engagé avec le club Schwarz und Blau. Mais à l’époque, il avait donné sa parole à Cologne, et les marques de confiance étaient alors trop rares pour être trahies. Finalement, à l’été 2018, il signe à Greuther Fürth, loin de son Wuppertal natal et devient ainsi le deuxième footballeur à avoir réussi à passer professionnel malgré un passage en prison.

Koc en cage

En Allemagne, son histoire a logiquement suscité la curiosité médiatique. « Mais à force de répondre tout le temps aux mêmes questions de manière superficielle, mon manager m’a conseillé d’écrire un livre dans lequel je raconterais mon histoire et ma vérité avec mon cœur, une bonne fois pour toutes. » Le projet, soumis aux deux plus grandes maisons d’édition allemandes, fait mouche immédiatement. « J’ai travaillé avec le journaliste Harald Braun pendant huit mois. Les dernières semaines, il était chez moi du lundi au jeudi et on discutait quatre à cinq heures à chaque fois », se souvient Daniel, qui se réservait cependant les week-ends pour être pleinement concentré sur le football, son métier, qu’il espère exercer encore de longues années. « J’ai un point commun avec Cristiano Ronaldo. Malgré mon âge, mon corps a cinq ans de moins. Parce qu’en prison, je l’ai protégé des blessures et qu’aujourd’hui, j’ai un avantage physique sur les autres attaquants. »

Librairie, banque alimentaire et Warner Bros

Avec cette biographie, peut-on parler d’une forme de thérapie ? « Non, répond l’intéressé en soufflant. Mon passage en prison est derrière moi. En revanche, je m’adresse aux jeunes qui traînent dans la rue et se prennent pour des gangsters. « Je veux dire aux jeunes qui traînent dans la rue que ce n’est pas cool de jouer au gangster et de faire des cambriolages. » Je veux leur dire que ce n’est pas cool de jouer au gangster et de faire des cambriolages. Ce qui est cool, c’est que les gens se sentent inspirés positivement quand ils te regardent. Même si tu fais des bêtises, le plus important c’est d’en avoir conscience et de faire en sorte que ça ne se reproduise plus. Parce que tout le monde fait des erreurs dans la vie. C’est ça le message du livre. » Ironie du sort, la Justice lui a demandé d’animer des ateliers avec des jeunes en difficulté pour qu’il raconte son histoire. « Quand j’étais en prison, ils ne croyaient pas du tout en moi et aujourd’hui, ils veulent que je serve d’exemple pour les jeunes. Tu te rends compte ? C’est dingue, non ? »

Cela ne l’empêche pas pour autant d’endosser la casquette de « travailleur social » de temps en temps. « C’est un ami journaliste qui m’a surnommé comme ça. Mais je ne suis pas vraiment travailleur social, je n’ai pas passé le diplôme pour à la fac. En revanche, c’est vrai que je m’occupe de projets à caractère social quand j’en ai l’occasion. » Récemment, on l’a par exemple vu donner, le temps d’une journée, un coup de main à la banque alimentaire de Wuppertal. « Je ne voulais pas que ce soit filmé pour qu’on aille dire ensuite “Ah ouais Keita, il se met en scène quand il aide les pauvres !” Mais ce sont eux qui ont insisté pour qu’il y ait des caméras. Ils disaient que si les gens me voyaient m’investir, cela les inciterait peut-être à les soutenir par la suite. Quand c’est filmé, il y a plus de visibilité et c’est pour ça que j’ai accepté. »

S’il refuse de se considérer comme « un exemple », force est de constater que son livre en inspire plus d’un. À commencer par ses coéquipiers qui, à le croire, s’en sont tous procuré un exemplaire. Mais pas seulement. « En général, quand tu lis la biographie d’un joueur, c’est tout le temps la même chose : j’ai joué là, là et là, j’ai gagné ça, ça et ça. Mais ça, les gens qui travaillent toute la journée et qui n’ont pas d’affinité avec le sport, ils s’en foutent. Dans ce que j’ai écrit, ils peuvent toucher quelque chose qui les intéresse. C’est ça que j’ai voulu faire et j’ai réussi. En tout cas, si j’en crois mon éditeur qui me dit que les ventes ont explosé. L’autre jour, je suis passé dans une librairie et j’ai demandé à un copain d’aller voir s’il restait des exemplaires. La vendeuse lui a répondu : “Le bouquin du footballeur ? Non, on n’en a plus, il faut qu’on en recommande.” » Désormais dans la lumière, le monde entier connaîtra peut-être bientôt l’histoire de Daniel Keita-Ruel. Peu après la sortie de son livre, une maison d’édition britannique s’est montrée intéressée pour le traduire en anglais, et Warner Bros s’est déplacé des États-Unis jusqu’à Fürth pour lui proposer d’adapter le récit à l’écran. Et si le prochain braquage avait lieu à Hollywood ?

PAR JULIEN DUEZ (SoFoot) : Propos de DKR recueillis par JD et tirés de l’ouvrage Zweite Chance, Mein Weg aus dem Gefängnis in den Profifußball, publié aux éditions Kiepenheuer & Witsch (non-traduit). Photos : Alexander Wurm et Wolfgang Zink.

Chérif Sadio

Reporter indépendant.

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