La difficulté de lier principes de jeu et recherche du résultat
Très bonne question. Nous sommes des sélectionneurs, nous sommes différents des entraîneurs en club. Quand vous êtes sélectionneur, chaque match que vous jouez est décisif. Quand vous êtes footballeur professionnel, chaque match que vous jouez sous les couleurs de votre pays est un match décisif. Vous le gagnez, vous continuez à avoir la sérénité et le calme pour continuer vers l’avenir sereinement. Vous le perdez, c’est pratiquement un tremblement de terre. Nous sommes aujourd’hui dans un contexte de résultat immédiat parce qu’on n’a pas le temps de construire en sélection. Vous avez quatre jours pour préparer un match. Rapidement, il faut sensibiliser à gagner parce que pour pouvoir aller à la lumière – la lumière pour moi, c’est la phase finale de la Coupe du Monde, de la CAN – il y a des préalables, et il faut gagner pour pouvoir y aller. Il est difficile de s’attarder sur certains principes de jeu, c’est surtout la mentalité que l’on doit avoir pour gagner ces matchs-là. Quand on arrive en phase finale, on a au moins une dizaine ou une quinzaine de jours où on peut mettre nos principes de jeu, on peut les répéter, on a plus le temps de travailler. Je crois que la mentalité en tant que sélectionneur et la mentalité en tant qu’entraineur sont différentes. L’entraîneur en club, il a 38 journées, il planifie pour 38 journées. Il ne gagnera pas tous les matchs, mais c’est un championnat, il peut gagner, perdre, pas de souci il a encore 29 journées devant lui. Moi ce n’est pas le cas. Si je perds un match en éliminatoires, peut-être que je n’irai pas à cette phase finale. Tous les matchs sont décisifs, tout est important en sélection. Souvent, on nous parle de fond de jeu, d’identité de jeu, mais il y a quand même des réalités qui font qu’on doit être capables de gagner ces matchs et tous les matchs ne sont pas faciles.
École du jeu ou école du résultat ?
Je me place dans l’école du jeu. Moi je veux jouer, c’est clair et net. Je n’ai jamais donné des consignes : « Prenez le ballon et jetez le dehors », non, moi je veux jouer. Mais comme je le dis, jusqu’où l’on va jouer ? Jouer, c’est quoi ? Se faire 15 passes derrière ? Ou bien 30 passes derrière et ne jamais approcher les 20 mètres adverses ? Ce jeu ne m’intéresse pas. Je ne suis pas dans cette philosophie de jeu. Jouer pour aller de l’avant, mettre de l’intensité, attaquer les 30 derniers mètres adverses, créer le danger, créer des moments de crise chez l’adversaire, ça, ça m’intéresse. Jouer, ce n’est pas seulement attaquer, c’est aussi se retrousser les manches dans les moments difficiles pour pouvoir défendre et savoir que l’adversaire est dans son bon temps. Dans un match, vous avez toujours des temps forts et des temps faibles. Accepter un temps fort et en profiter pour faire la différence, mais accepter que, même si c’est deux, trois, cinq ou dix minutes, l’adversaire aussi aura son temps fort. Là, les comportements doivent changer. Accepter que l’adversaire soit dans son bon temps, même si ça ne doit pas durer 20 minutes, ça voudra dire qu’il faudra peut-être resserrer un peu plus les lignes et se retrousser un peu plus les manches. J’aime quand mon équipe arrive à gérer ces périodes d’un match. C’est ça qui est important.
Comment contourner un bloc bas ?
Il y a trois ou quatre phases à gérer. Depuis que je suis à la tête de l’équipe nationale du Sénégal, on a toujours été confrontés au même football, des équipes qui vous laissent le ballon et qui restent derrière. Dans ces cas-là, soit on contourne le bloc bas, soit on passe à l’intérieur, soit on passe au-dessus ou tout simplement sur les coups de pied arrêtés. Il est important pour nous de bien travailler les couloirs, essayer de contourner, apporter les centres. Soit rentrer dans le bloc mais c’est difficile, souvent, ce sont des équipes qui resserrent beaucoup les lignes. Soit viser au-dessus de ce bloc et jouer les deuxièmes ballons et attaquer. Sinon face à une équipe qui ne veut pas sortir et qui fait beaucoup de fautes, il faut utiliser les coups de pied arrêtés pour marquer.
« Aujourd’hui, je suis au Sénégal. Mon esprit et ma tête sont au Sénégal. On verra peut-être après la Coupe du Monde. »
Comment sélectionne-t-on un joueur ?
Quand vous regardez la constitution de l’équipe nationale depuis bientôt sept ans que je suis là, le noyau de l’équipe est là. Ce sont les mêmes qui sont ici. Maintenant, peut-être que sur un manque de temps de jeu de certains ou bien une blessure grave de quelqu’un d’autre, on essaie d’incorporer. En réalité, il ne s’agit pas de changer des joueurs à chaque sélection, il faut arriver à travailler dans une continuité pour créer des affinités dans le jeu qui pourront donner un bon fond de jeu. Mais pour cela, il faut un noyau. Quand on prend notre équipe, c’est Edouard Mendy, Alfred Gomis, Koulibaly, Diallo, Pape Abou Cissé, Gana Gueye, Nampalys Mendy, Sadio Mané, Cheikhou Kouyaté, Ismaïla Sarr. Tous ces garçons que je dirige depuis pratiquement sept, huit ans. Maintenant oui, une équipe nationale, c’est une porte d’entrée, une porte de sortie. On a un noyau de 16,17, 18 joueurs qui sont là et viennent souvent, mais parfois, si on a ciblé un garçon qui peut nous apporter dans un secteur de jeu où l’on doit renforcer l’équipe, où l’on peut trouver meilleur, on ne va pas se gêner, on va le chercher. Gagner, cela ne veut pas dire qu’on est plus forts que tout le monde. Nous devons continuer à progresser, l’équipe doit continuer à s’améliorer, cela ne s’arrête jamais, on continue à regarder quels joueurs peuvent incorporer l’équipe. C’est un passage, tout le temps avec une entrée et une sortie. Tout en essayant de garder une continuité et ne pas faire une révolution sur chaque rendez-vous de l’équipe nationale du Sénégal. Ça, c’est des périodes. Il y a des périodes où il y a beaucoup de changements et des périodes où c’est beaucoup plus stable, mais c’est par rapport à la réalité de l’équipe et à sa progression.
L’intégration des binationaux
Il n’y a pas de problème d’intégration, moi je n’ai pas eu ce problème avec les binationaux qui sont arrivés. Ils connaissent mon discours avant de les faire venir. Le projet, je leur ai déjà décliné et tout ce que je leur ai dit, ils l’ont vu. Kalidou Koulibaly, c’est vrai que j’ai mis beaucoup de temps pour l’avoir, comme la plupart des binationaux. J’ai le recul nécessaire parce que j’ai été dans cette situation, de pouvoir laisser le joueur prendre le temps et d’accepter de venir. On ne court derrière personne. Il ne s’agit pas de ça. Tous les joueurs que j’ai fait venir, je n’ai couru derrière personne. Oui, ce sont des bons joueurs, mais on a aussi une bonne équipe. Par contre, sur le projet qu’on est en train de mettre en place, si ça les emballe, s’ils pensent qu’ils peuvent nous apporter, bien sûr que la porte leur est ouverte. Et quand ils viennent, ils se sentent très bien. C’est le cas de Kalidou, d’Abdou Diallo, de Nampalys Mendy, de Bouna Sarr, etc. Moi j’ai la connaissance de ces deux côtés, je suis aussi binational. Je pense que cette double culture de la connaissance des deux côtés m’aide à réunifier et constituer une équipe et savoir qu’il n’y a pas une équipe de binationaux et une équipe de nationaux. Il y a une seule équipe qui s’appelle l’équipe du Sénégal et que nous devons tous tirer dans le même sens.
La gestion des egos
Ça se passe très bien. Je n’ai pas de problème avec ça. Le côté star, je n’ai pas cette relation entre eux et moi. Ils me respectent en tant que coach, en tant que grand frère donc il n’y a pas ce côté “starisation” dans notre équipe nationale. En réalité, ce sont tous des stars. Je n’ai pas à les manager parce que je n’ai pas à manager ça. Tu es star, oui, on le sait, voilà. Croyez-moi, ces gars, ils ont plus envie de gagner que moi. Ils ne sont pas là pour perdre du temps. Ils n’ont pas de temps et nous non plus, donc on est ensemble dans un but bien précis : faire plaisir au peuple sénégalais et donner le maximum. Les stars, comme vous dites, ce sont les premiers à arriver à l’entraînement et les derniers à quitter l’entraînement. L’exemple, ce sont eux qui le donnent. Moi je dis cadre, mais ça ne suffit pas. Tu es cadre, mais quel est l’exemple que tu donnes ? Ça ne suffit pas de dire cadre. Un cadre a plus de devoirs que de droits. C’est pour cela que je rendrai toujours hommage à cette génération. Les féliciter parce qu’ils ont pris ce que le peuple sénégalais attendait d’eux et ça c’est important. Ça n’a pas toujours été le cas.
La gestion de la pression
C’est comme ça. Moi je suis Sénégalais. Tous les entraîneurs passés sur les 10 dernières années, j’ai vu comment ils vivaient. En étant loin, j’ai pu observer les commentaires, mais en réalité rien ne change. Il y a un petit temps d’adaptation et après c’est parti. Pour moi, il faut laisser les journalistes faire leur travail correctement, ils ont leur façon de voir. Ils ne maîtrisent pas tout ce qu’il se passe à l’intérieur de l’équipe. Moi, je n’ai aucun problème avec les critiques aujourd’hui. Même hier. Les critiques ne m’ont jamais empêché de faire ce que je pense juste, de sortir de mes convictions. Une équipe de football, c’est comme ça. Que ce soit en Europe, en Afrique ou en Asie, quand vous gagnez, ce sont les joueurs, quand vous perdez, c’est l’entraîneur. Je ne dirais pas que nous nous sommes préparés à ça, mais on sait que c’est la sentence. Quand tu es entraîneur, prépare-toi à être viré. Tôt ou tard, on te virera. Si tu n’as pas envie qu’on te vire, il faut aller faire un autre métier. Il y a combien de grands entraîneurs qui sont virés tout le temps ?
Un poste en club peut-il vous intéresser ?
Oui, bien sûr. Cela fait 10 ans que je suis sélectionneur donc oui, c’est un projet qui m’intéresserait. Travailler dans un club qui veut mettre un vrai projet en place m’intéresserait parce que je suis un homme de projets. J’ai besoin de travailler sur le moyen et le court-terme comme ça l’est avec le Sénégal. Mais aujourd’hui, je suis au Sénégal. Mon esprit et ma tête sont au Sénégal. On verra peut-être après la Coupe du Monde.
Le mot de la fin
J’espère que toute personne qui lira cette interview comprendra que nous sommes en train de faire notre travail. Ce n’est pas parce qu’on n’est pas en Europe qu’on est moins bons que les autres, ce n’est pas parce qu’on ne parle pas que l’on ne sait pas ce que l’on fait. Nous avons décidé d’abord de faire avant de venir parler. Dans notre jargon, c’est ça.