Cette saison, ton équipe peut pourtant se targuer d’avoir un joueur d’expérience comme Franck Ribéry dans ses rangs.
Quand on m’a annoncé l’arrivée de Franck Ribéry à Salerne, j’étais surexcité. Au-delà de l’admiration, je veux surtout apprendre de lui. D’ailleurs, dès son premier jour, il a commencé à distiller des conseils. Pas seulement techniques, mais également psychologiques. Humainement, il est extrêmement bienveillant. De toute façon, quand on regarde son parcours, ça force le respect.
Elle était comment, ta jeunesse à Thiès ?
Mon père ne voulait pas entendre parler de football. Il me disait : « Le football, c’est un loisir. Trouve un vrai métier ! » Il refusait donc catégoriquement de m’inscrire dans un club local. Je lui obéissais. En réalité, je n’en avais rien à secouer de l’école. J’allais en cours juste pour taper le ballon avec les potes. Je faisais du 9h-18h à enchaîner les matchs sur le sable.
Quel regard portais-tu sur cette situation sociale ?
Honnêtement, je bouillonnais. Quand tu vois les membres de ta famille se lever très tôt le matin et rentrer très tard le soir pour finalement ne gagner que le minimum, tu enrages. J’en voulais à la société de ne pas leur offrir ce dont ils avaient besoin et je m’en voulais de ne rien faire pour changer les choses.
Tu n’étais pourtant qu’un adolescent.
Pour moi, le football était la seule solution. J’avais 16 ans et pour moi, réussir dans le sport signifiait réussir dans la vie. Ma famille en avait besoin et plus le temps passait, plus l’Europe devenait un objectif. Finalement, en 2015, j’ai pris mon « courage » à deux mains et je suis parti.
Quitter son pays, ce n’est pas un peu extrême comme décision ?
J’ai mis toutes mes affaires dans un sac à dos et j’ai pris le large. Je n’ai prévenu personne, hormis deux de mes amis. J’ai rassemblé le peu d’argent qu’il me restait et pris un bus direction Dakar. Arrivé dans la capitale, je suis monté dans un autre bus en partance pour le Maroc. Avec moi, il y avait d’autres Sénégalais, des Gambiens et quelques Bissaoguinéens. 2800 kilomètres, presque 35 heures de voyage !
Où avez-vous débarqué ?
On est passé par Tarifa en Espagne avant d’arriver à Marseille. Mais une fois en France, j’ai immédiatement rejoint l’une de mes tantes qui résidait à Grenoble. Le problème, c’est que je débarquais un peu à l’improviste et elle n’avait pas les moyens de me garder. Elle m’a donc hébergé quelque temps avant de me présenter à une connaissance qui habitait en Italie, près de Livourne.
À partir de quand as-tu prévenu tes proches ?
Je n’ai prévenu mes amis qu’une fois arrivé en Italie. Je leur ai dit de n’en parler à personne, mais ils ne pouvaient pas et ils ont préféré tout avouer à mes proches. Dans mon quartier, on me pensait même mort. C’est à ce moment-là que j’ai compris la stupidité de mon comportement. La peur et la honte vous font parfois faire des choses moches. Alors quand mes amis m’ont dit qu’ils avaient informé ma famille, j’étais soulagé.
À ce moment-là, quel est ton plan ?
À mon arrivée en Italie, j’entendais dire partout que Pescara était une ville avec une forte communauté sénégalaise. Alors j’ai pris mes dispositions. Je me suis engouffré dans un train sans payer le ticket et j’ai pris la direction de l’Adriatique. Et puis je me suis trompé de station ! (Rires.) En vérité, je me suis trompé deux fois ! La première, c’est parce que je descends à Rome, qui est pourtant à l’opposé complet de Pescara. Je fraude donc une deuxième fois le train, et à mi-chemin j’entends « Abruzzi ! » Je sursaute, car Pescara se trouve dans les Abruzzes, et je m’empresse de descendre. Mais en me dirigeant vers les panneaux d’indication, je vois « Roseto degli Abruzzi » . Je venais de descendre à Roseto, une ville située 40 kilomètres avant Pescara ! C’était horrible. Pas très loin de cette gare, il y avait heureusement un terrain de football, celui de la Rosetana Calcio, je crois, et j’ai décidé de m’y installer.
La chance fait surtout que l’équipe première se retrouve en pénurie de milieux de terrain et qu’on te sollicite directement.
Après seulement deux matchs en U19, monsieur Ruscitti est venu me dire que j’intégrais l’équipe première. J’étais totalement sonné, je n’arrivais pas à y croire. Il m’a fait savoir que Zdeněk Zeman (qui a remplacé Oddo entre-temps, NDLR) avait besoin d’un milieu défensif pour pallier les nombreuses blessures. Le 19 mars 2017, j’étais donc sur la feuille de match pour une rencontre face à l’Atalanta et j’ai disputé les vingt dernières minutes.
Quand tu es dans le tunnel avant d’entrer sur la pelouse, à quoi penses-tu ?
Je regardais autour de moi et je me disais : « Eux, ils sont pros depuis dix ans, c’est leur routine. Montre-leur que t’es prêt à leur arracher le ballon avec les dents ! » J’ai surkiffé ce moment.
Tu as évidemment renoué avec ta famille. Comment se sont déroulées les premières retrouvailles ?
Mon père a refusé de me parler pendant plusieurs semaines, malgré ma signature en professionnel. Voir son fils risquer sa vie pour une chose aussi hypothétique que le sport, ça a de quoi vous mettre en rage, et je le comprends. Mais en discutant avec mes proches, ils m’ont fait comprendre à quel point il était fier de moi !
Par la suite, tu tapes dans l’œil de l’Udinese, avec qui tu es toujours sous contrat, qui te prête plusieurs fois en Serie B (Carpi, Virtus Entella, Trapani et Salernitana).
La Serie B est un processus d’apprentissage classique. C’est marrant parce que je m’imaginais toujours évoluer en numéro 10 et faire des passes décisives, mais j’ai fini en récupérateur. (Rires.) En revanche, je ne veux pas que l’on me réduise à ma simple taille (1,83m) ou à mon impact physique. Parfois, on a tendance à mettre les milieux africains dans la case du « déménageur » . C’est pour cela que je travaille de plus en plus ma conduite de balle et mon jeu long. J’exploite au maximum ce que j’ai pu connaître dans le football de rue.
Tu as des références à ce poste ?
Le modèle absolu reste Yaya Touré. C’est la preuve vivante qu’on peut manier le ballon avec un physique XXL.
Quel adversaire t’a le plus impressionné ?
(Il réfléchit.) Paulo Dybala ! J’ai joué contre lui avec Pescara, et il m’a rendu fou ! Il est tout petit avec des mollets surdimensionnés. Je visais ses jambes, car il avait les chaussettes baissés, c’est pas bien, je sais. Mais même avec ça, impossible de l’arrêter. À un moment, je me suis jeté sur lui pour le découper. (Rires.) Résultat : carton jaune et défaite (0-2). À la fin du match, il passe à côté de moi et me lâche un petit sourire chambreur. Je comprenais enfin ce qu’était le haut niveau.
Quels sont tes prochains objectifs ?
La sélection du Sénégal ! Lorsque je jouais en Serie B, je savais que mes chances étaient quasi nulles, car le championnat n’est pas beaucoup observé. Mais maintenant, je n’ai plus d’excuses. En plus, les Lions de la Téranga jouent leurs matchs chez moi, à Thiès. C’est facile de dire ça maintenant, mais je serais prêt à refaire tout ce voyage ! En y mettant la forme évidemment et sans faire souffrir ma famille. Quand je discute de tout ce parcours avec mon grand frère, il me dit : « Mamadou, ne regrette rien de ce que tu as fait. Tu as réalisé tes rêves. J’aurais adoré être à ta place et fouler les pelouses italiennes. Profite à fond de ta vie ! » Le football m’a donné beaucoup trop de choses pour avoir des regrets aujourd’hui.
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