Youssouph Dabo : «Amiens me suivait, mais je n’étais pas intéressé»

Actuellement sur le banc de Teungueth Football Club, Youssouph Dabo a accordé un long entretien à la rédaction de « Foot Sénégal ». Le jeune technicien est revenu sur sa carrière de footballeur, sa reconversion et ses objectifs en tant que sélectionneur national des moins de 20 ans et coach de l’actuel leader de la Ligue 1.

Double vainqueur du tournoi sous régional de l’UFOA, quart de finaliste de la Coupe du Monde U20 et finaliste de la Coupe d’Afrique de la même catégorie, le meilleur entraîneur de la dernière grand-messe du football africain des juniors s’est prêté à nos questions/réponses.

«Je souhaite la paix à toutes et à tous d’abord. Que Dieu accepte nos prières et nos sacrifices en cette période de Ramadan et que le Coronavirus disparaisse, afin que tout le monde reprenne ses activités. », a dit le jeune entraîneur. 

«J’ai choisi d’être entraîneur parce que c’est le métier dans lequel je me sentais le mieux. », nous dit-il. En tant que joueur, j’avais déjà cette attitude de coach. Car, je replaçais souvent mes coéquipiers quand on jouait. Je pense que c’est une suite logique de ma carrière. », justifie-t-il.

CONFINEMENT…

Coincé chez lui à l’image de tous les sportifs qui suivent avec prudence la situation du Coronavirus, Dabo en profite pour réapprendre. « Là, j’essaie de réviser mes leçons, de revoir tout ce que j’ai appris que ça soit dans le domaine du coaching ou du management. », fait savoir le technicien. Et malgré la situation mes joueurs reçoivent des entraînements spécifiques et on se réunisse régulièrement comme cela se fait en télétravail. On essaie de garder la dynamique dans laquelle on était. », dit-il.

SA CARRIÈRE DE JOUEUR, STADE DE MBOUR, TEUNGUETH FC, RETOUR EN EUROPE…

Certes, Youssouph n’a pas eu une carrière aussi riche en tant que footballeur, mais il avait le talent. Après avoir fait ses premiers pas dans le Navétane (Ndlr : championnat inter-quartiers organisé pendant la période des grandes vacances), il a tenté une carrière en deuxième division sénégalaise, avant de s’exiler en Tunisie.

« Oui, j’ai un peu joué au football. Ma carrière n’a pas été très longue, mais je jouais comme milieu relayeur et défensif. Je suis passé par le Navétane, puis le championnat du Sénégal. J’ai joué à l’Union Sportive du Rail en junior (Thiès), à l’Union Sportive de Ouakam et à la Renaissance Sportive de Yoff en Ligue 2. », apprend-on de l’ancien coach des U19 de Red Star.

A cette époque, le championnat du Sénégal n’était pas encore professionnel. Ceux qui me connaissent savent que j’étais un bon joueur, mais je pense ne pas avoir assez travaillé pour arriver à mes objectifs en tant que footballeur. Mon échec en tant que joueur est la source de mes motivations en tant qu’entraîneur. Je veux réussir ce que je n’ai pas pu faire en étant footballeur et je travaille pour y arriver », poursuit-il.

« Si je n’ai pas réussi, c’est peut-être parce que je n’avais pas un bon état d’esprit en tant que joueur. Je vois les jeunes se lever chaque matin ou soir pour aller faire du footing. Mais cela ne suffit pas pour être pro à mon avis. Il y a énormément de travail derrière. Ce qu’ils font là, moi, je le faisais quand j’y étais. Il faut être sérieux, avoir une bonne hygiène de vie et être stable. Beaucoup de jeunes aiment changer après chaque saison. », nous rappelle l’ex- joueur de RF Yoff.

Après son départ du banc de Guediawaye FC, Dabo a déposé ses valises dans la station balnéaire. Au commande du Stade de Mbour, il a mené l’équipe de cette ville d’où il est également originaire en finale de Coupe du Sénégal perdue face au rival Mbour Petite Cote, après le sacre devant USO suite à la décision de la Ligue Pro (2016). « Certes, on a eu à faire de bonne choses à Mbour, mais le club nous a aussi permis de progresser par rapport à notre métier. », reconnait-il.

Certains oublient que je suis originaire de cette ville. Mes parents sont de là-bas. Même si c’est vrai que mon père est de la Guinée-Bissau, mais il est également Mbour. Ceux qui me connaissent le savent », révèle-t-il à nouveau. Certes, je n’avais pas atteint toutes mes objectifs à Mbour, mais je sentais que c’était le moment de partir.  Teungueth me voulait depuis plusieurs années. D’autres équipes s’étaient manifestées, mais le Président Babacar est celui qui m’a présenté le projet qui m’a le plus convaincu. », nous a-t-il fait savoir.

RÊVE-T-IL DE COACH UNE EQUIPE EUROPÉENNE ? …

Formé en France, où il a obtenu son diplôme de Licence A UEFA. L’ancien technicien du Red Star n’est pas encore prêt à retrouver les pelouses européennes.

Pour Dabo, ce n’est pas encore le moment de quitter le Sénégal, où il compte relever les défis qui se positionnent devant lui. « Non, ça ne m’intéresse pas pour l’instant. », répond-il. A mon retour de la Coupe du Monde U20, un agent m’avait appelé pour me dire que le Sporting Club d’Amiens (Ndlr : Ligue 1 / France) s’intéressait à moi pour coacher son équipe B. », révèle Youssouph qui n’était pas chaud pour ce challenge.

Cette proposition ne m’intéressait pas pour dire vrai. Je ne suis pas trop obnubilé par le fait d’aller coacher en Europe. Je viens de là-bas. Je ne peux donc pas dire qu’entraîneur en Europe est un rêve pour moi. Le moment venu, je saisirai l’occasion. Mais j’ai beaucoup de challenges ici », insiste-t-il.

LE NIVEAU DU FOOTBALL LOCAL, L’ATTRACTIVITÉ …

Présent dans l’élite sénégalaise depuis un peu plus de 5 ans, Youssoupha Dabo commence à connaitre au mieux le football local. Qui de mieux placer que lui pour évaluer l’évolution du championnat national ? « Malheureusement, les gens ne comprennent pas que pour que le football soit attractif, il faut un public régulier dans les stades. Certaines personnes préfèrent suivre le football européen à la télévision et porter des jugements négatifs sur le football local en ne le regardant pas. », se désole le coach de TFC.

D’après l’ex-joueur de l’US Rail, les choses bougent au niveau local. Malgré l’absence du public, il reconnait un avancement depuis toutes ces années. En tout cas, il y a du progrès d’année en année. Il faut continuer le travail. Des efforts sont en train d’être faits par les Présidents de clubs, les entraîneurs et les joueurs. », martèle-t-il.

Certes, il y a un manque d’infrastructures, mais il faut continuer à améliorer les secteurs qui doivent être appuyés pour que le football soit encore plus attractif. Mais il faut que le public vienne et arrête de regarder Liverpool – Newcastle pour ensuite saboter notre football local. », se désole à nouveau Dabo qui évoque également le manque de sponsoring dont souffre le football local. Les clubs ont des dossiers solides. Ils tapent à la porte de plusieurs sociétés, mais ils leur sont parfois proposés des sommes qui ne peuvent même pas payer un mois de salaires de leurs effectifs.

Malheureusement, si c’est la sélection nationale qui leur proposait un sponsoring, ils allaient tout mettre dedans. Même quand les autres sports comme la lutte les sollicitent, ils y vont aussi. Mais si c’est le football local, il recule. », se regrette-t-il. Pour ce qui est de l’aide de l’Etat, je n’ai pas beaucoup d’informations là-dessus, mais je sais que les responsables sont en train de faire des efforts. », a t-il rajouté.

FORMATION DES CADRES

Conscient de la qualité des acteurs du football qui manque un peu plus de formation pour obtenir les formalités de leurs diplômes, Dabo en a profité pour prendre la défense de ses futurs collègues. «La DTN doit enchaîner la formation des cadres parce que la demande est là. », suggère-t-il, avant de rappeler que le passage des diplômes d’initiateurs doit se tenir par exemple tous les ans. Par contre, celle des diplômes les plus élevés peut-être distancée. Mais il faut aider les entraîneurs à se former. », nous apprend-il.

LA REPRISE DU CHAMPIONNAT NATIONAL (LIGUE 1) …

Comme en France, en Angleterre et dans d’autres pays, le football ne se joue plus au Sénégal. La montée en puissance du Coronavirus a mis aux arrets les activités liés au bon déroulement du championnat national, suspendu jusqu’à nouvelle ordre. Pour ce qui est de la reprise, rien ne semble être clair. «La question est difficile à répondre. On prit tous pour que les activités reprennent. J’entends des échos d’une reprise en Juillet ou en Août.

Donc, on reprendra certainement les entraînements vers la fin du mois de Juin ou au début du mois de Juin. La situation est compliquée et les joueurs comprennent bien ce qui se passe.», nous dit-il. L’on se demande comment fonctionnent même les caisses de TFC, à voir si la masse salariale est maintenue par la direction du club ? Comme ailleurs, les joueurs ne reçoivent plus les salaires comme avant. Il n’y a plus de rentrées d’argent. Mais comme le Président (Ndlr : Babacar Ndiaye) l’a dit, il va continuer à les assister. », nous dit-il.

CE QUI A MANQUÉ AUX LIONCEAUX LORS DU MONDIAL U20 EN POLOGNE …

Après un bon départ, les Lions ont malheureusement perdu leurs griffes devant les sud-coréens en quart de finale de la Coupe du Monde U20. Pour Dabo, ses poulains ont aurait pu faire mieux. « On a manqué de concentration, surtout au moment opportun. Ce détail nous a suivi jusqu’à la séance des tirs au but. Il y avait un corner à la dernière minute et les joueurs croyaient que la balle allait être jouée et puis c’est fini.», nous fait-il savoir.

Dabo ne reste tout de même pas indifférent au manque d’expérience de ses hommes. On continue à travailler là-dessus. Je disais souvent à mon staff que les penaltys à l’entrainement et les ceux des matchs ne sont pas les mêmes. Le joueur peut marquer à l’entrainement ne pas connaitre le même succès au cours d’une rencontre.», soutient-il. Avant le Mondial, on ne travaillait pas les tirs au but. Mais a près, j’ai compris que les entraîner était nécessaire. On y est depuis le retour de la Coupe du Monde. Et j’ai constaté que depuis lors, on a remporté trois rencontres par tirs au but. C’est important. »

FINALE CAN EGYPTE, PERDUE PAR LE SÉNÉGAL …

Présent dans le staff élargi d’Aliou Cissé lors de la dernière Coupe d’Afrique en Egypte, le jeune entraîneur a aussi vécu la grosse déception en finale, où le Sénégal est passé à deux doigts du Graal. « On ne peut pas dire qu’on a manqué beaucoup de choses. On était en face de l’une des meilleures équipes de la compétition. Elle a très tôt marqué. Malheureusement, on n’a pas pu renverser la tendance. Maintenant, il y a un état d’esprit qu’il faut avoir. Quand on est prêt à tout, on peut atteindre certains objectifs. », poursuit-il.

Il faut qu’on continue le travail. Je donne souvent l’exemple des camerounais parce qu’ils sont les plus forts sur le plan mental. Plus la rencontre est difficile, plus ils répondent présents dans le jeu. Le maliens sont aussi comme ça. Les sénégalais ressemblent un peu plus aux ghanéens sur le plan mental. Mais ce sont des choses à travailler. Il faut continuer à apprendre aux joueurs à être des gagneurs. Mais on se rapproche de plus en plus d’un titre avec le travail qu’on est en train d’effectuer depuis quelque temps. », admet Dabo.

SA MÉTHODE DE DÉTECTION CHEZ LES U20 …

« Je ne suis pas là pour tracer la route à des joueurs. Si je dois sélectionner un joueur qui vient de l’Europe, il doit être dans un club professionnel et avoir des qualités que j’attends de lui à son poste. Je viens de l’Europe et je sais que les entraînements des équipes amateurs ne sont pas plus sérieux que ceux des équipes sénégalaises », soutient l’ancien coach des U19 de Red Star qui révèle qu’il n’hésite pas à se rendre sur le terrain pour voir jouer des équipes et superviser des joueurs dans le calme. «Je prends parfois ma voiture pour aller suivre des rencontres dans certaines localités de Dakar. Je ne vais quand-même pas prendre le micro pour dire aux gens que je vais dans un tel lieu, mais je me déplace souvent ».

« Par contre, j’ai du mal à aller dans les régions. Je ne pars pas dans toutes les régions du pays, mais j’ai des connaissances dans bon nombre de lieux où se trouvent des gens qui me signalent des footballeurs intéressants. J’ai confiance en eux et je n’hésite pas à inviter ceux qu’ils me suggèrent à venir en sélection quand je trouve bons, leurs profils. Ce qui est différent des agents qui peuvent vous appeler pour vous parler de leurs joueurs, afin que ces derniers puissent juste avoir des sélections pour qu’ils puissent par la suite les transférer. Je ne travaille pas comme ça. Le joueur doit être bon et remplir les critères de sélection ».

« Récemment, un joueur m’a été signalé depuis Tambacounda et il a été sélectionné tout comme un autre qui vient de Koussanaar. Ce dernier était même dans la liste pressentie pour le tournoi en Guinée qui a été annulé à cause de l’épidémie du Coronavirus. Après, il n’est pas dit que je les fais venir qu’ils seront retenus. Non, il faut qu’ils remplissent les critères de sélection. En tout cas, je ne ferme pas les portes de la sélection. Les jeunes ont parfois un déficit de compétitions et un manque de temps de jeu parce qu’ils ne jouent pas assez. Et cela se voit une fois qu’ils sont en senior.  C’est pourquoi je n’hésite pas à en parler aux responsables ».

« Quand on part en compétition, on n’y va pas comme invités, mais comme compétiteurs. Lors du tournoi en Arabie Saoudite ? Non, je ne conditionnais pas mon assistant qui était avec les jeunes. Le match de la première journée (Ndlr : Teungueth FC) du championnat face au Casa Sports, cette saison, a été dirigée par mon assistant et je ne lui avais rien dit. S’il le perdait, j’allais l’assumer. Il peut m’envoyer le 11 de départ, pas pour me donner ce que j’en pense, mais juste pour m’informer et je valide toujours. Après, on peut discuter sur ce qui a marché ou ce qui n’a pas marché. Mais je ne leur conditionne jamais sur qui va entrer ou sortir ».

COACHER LA SÉLECTION A …

« Je suis ambitieux comme tout le monde. Mais j’ai beaucoup de challenges qui m’attendent à Teungueth FC et en sélection nationale U20. Je suis encore jeune et je ne suis pas pressé. La sélection A arrivera à son heure. Pour l’instant, je me concentre avec mon club et avec les moins de 20 ans ».

SA PRÉFÉRENCE TACTIQUE : 1- 4-3-3 …

« Si je devais choisir une organisation tactique pour mon équipe, ça serait un système de 1-4-3-3 avec une pointe basse (Ndlr : récupérateur) et deux relayeurs à ses côtés, au lieu d’un numéro 10 devant lui.  C’est une tactique qui va nous permettre d’occuper le terrain sur la longueur et sur la largeur. On ne laissera donc pas de poches. Là où on va peut-être les (Ndlr : les poches) laisser est un peu plus bas parce que le numéro 6 se trouvera seul.

Quand vous avez donc des latéraux comme ceux de Liverpool qui sont offensifs, il vous faut des milieux capables de compenser les espaces laissées par vos arrières. Le plus important dans une équipe est de trouver un équilibre. C’est elle qui lui permet d’être mobile, d’être bonne défensivement et offensivement. », a conclu le coach Youssouph Dabo par rapport à ce système de jeu.

Cette saison, ses hommes (Ndlr : Teungueth FC) n’ont pas fait de cadeau à leurs adversaires lors des 13 premières journées de Ligue 1. Ils ont remporté 10 victoires et enregistré 3 matchs nuls avec 22 réalisations et 6 buts concédés, soit la meilleure attaque, mais la meilleure défense aussi, soit 33 points au compteur, dont 12 points de plus que le poursuivant direct : Jaraaf (Ndlr : 21 points).