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Interview / Kouyaté : «Il m’a dit quand les africains sont bien payés, il se lâchent»

Quand le succès arrive, les observateurs ne voient plus la galère qu’à enduré l’athlète. La descente aux enfers, Cheikhou Kouyaté l’a connu avant la montée dans l’élite européenne. Lors d’un Live Instagram avec son coéquipier en sélection Mbaye Diagne, le capitaine du Sénégal est revenu sur ses débuts et sur son contrat avorté vers Tottenham.

Les débuts du capitaine Cheikhou

« Je jouais à Yeggo Foot et mon rêve était de devenir un footballeur professionnel. Dans ma tête, c’était la France à l’image des joueurs qui quittaient notre club (Ndlr : Yeggo) pour aller à Saint-Etienne, notre partenaire. J’avais même effectué des essais que j’avais réussis, mais comme je le dis : vous êtes parfois pressé, mais tant que les choses ne sont pas mûres, rien ne bouge. J’étais partie en sélection nationale junior et avant le match, on avait une finale. Le recruteur m’avait repéré alors qu’il était venu superviser un autre joueur.

Après donc le match face au Ghana, on me propose un contrat en Grèce. On nous donne un chèque de 1.500 euros qui était une grosse somme à l’époque. Je me souviens avoir sauté de vive joie parce que je n’avais jamais touché une telle somme. Je dis dans la foulée à Touré (Abdoulaye Touré, Président de Yeggo) qu’il fallait laisser tomber le départ vers Saint-Etienne.

Une fois en Grèce, on me dit que je n’avais pas encore l’âge de signer en professionnel. J’étais en larmes. Touré m’appelle pour me dire que ce n’était pas grave, que j’allais rentrer au Sénégal et repartir pour Saint-Etienne. Je lui dis non, c’était impossible, j’avais déjà avisé mes proches que je partais pour signer pro. Et comme vous le savez, quand vous rentrez au Sénégal, vous pouvez être victime de moqueries des gens.

Alors, je devais me rendre en France pour des essais à Nancy et à Rennes. A l’ASNL, on me dit que j’étais lent etc. Là, je me demande ce qui se passe réellement avec moi. Je commence à me poser des questions. Je n’avais rien compris quand l’agent m’expliquais les raisons pour lesquelles je n’avais pas été retenu. Avant d’aller à Rennes et à Sedan, je devais aller quelque part.

L’agent m’amène à Auxerre en cachette et le Président Touré finit par le savoir après. Il demande à ce que je rentre au Sénégal, mais l’agent ne voyait que je signe pour qu’il puisse toucher sa commission. Imaginez, j’étais même partie effectuer des essais à Toulon, en 4e division, là où les joueurs jouent et travaillent en même temps. Une fois donc à Rennes, le club refuse que je m’entraîne parce que le Président Touré leur avait envoyé un fax pour leur signifier que si jamais je m’entraîne avec eux, il allait les traduire devant les tribunaux.

On part à Sedan, le club refuse aussi et l’agent commence à me dire que Touré ne m’aimait pas etc. Il me dit de rentrer au Sénégal et de faire croire à Touré que c’est lui qui m’a payé le billet. Je commence à me questionner sur son honnêteté. Peu après, il me dit qu’il allait m’amener chez un de ses amis.

Je pars chez ce dernier, puis il me répète que je devais demander à Touré de me faire rentrer. Moi, j’avais mon cousin et ma cousine qui étaient déjà en France et je songeais même à aller chez eux. Peu après, Touré m’appelle pour me demander si j’avais encore de l’argent avec moi. Je lui dis oui et il me demande de chercher à savoir où se trouve la Gare pour regagner Bruxelles, où quelqu’un m’attendait.

Je ne pouvais pas dormir, moi. L’agent m’avait abandonné en cette période-là et c’était compliqué. Je dis au monsieur qui m’avait hébergé que je partais. J’arrive donc à la Gare de Bruxelles et je me retrouve dans le Hall. Je ne pouvais appeler personne parce que mon téléphone ne pouvait fonctionner.

C’est là que je croise le chinois qui me demande ce que je faisais alors que je n’avais rien compris. C’est pourquoi je dis quelque soit l’équipe où vous partez, faites tout pour vous faire respecter. Il se gagne seul, le respect. Le gars m’amène dans un hôtel et me dit de rester là-bas, qu’il allait venir me prendre vers 19 heures pour aller aux entraînements. Je ne savais rien des hôtels et les repas n’étaient pas de si bons goûts. Je n’avais pas de bonnes chaussures. C’est Maodo qui m’en avait offert une paire à l’époque et elles glissaient.

Je me rappelle que nous étions au mois d’Octobre. Il faisait froid. Je n’avais pas de gants et je souffrais du froid en ne comprenant rien du climat. Le gars me dit « écoute, tu n’as qu’une semaine pour nous prouver tout ce dont tu es capable de faire. Sinon, on te fait rentrer au Sénégal parce que nous connaissons bien ton Président. »

C’est là que Bekir est venu me voir pour me demander si je suis musulman et si je priais aussi. Je le lui réponds positivement : “oui, je suis musulman et je prie bien-sûr. Il part m’acheter des habits de froid, de nouvelles chaussures et des gants. On part jouer à Rolex et j’entre en deuxième mi-temps. Le coach me dit que c’est bien, mais je n’étais pas aussi bon tactiquement parce que je ne bougeais pas beaucoup, disait-il. Le vendredi d’après, je fais un bon match en marquant aussi. Mais quand j’avais senti que j’étais dans le match, j’ai fait semblant d’être fatigué pour qu’il me sorte du terrain et gagner des points. C’est là que je leur ai convaincu. »

Comment Anderlecht a “chopé” Kouyaté à son ancien club ?

« Les gens de Anderlecht étaient venus me voir pour me demander d’aller en procès avec mon ancien club. Ils allaient me protéger. Si je gagne, je signe chez eux. Le Président de mon ancien club me fait des attaques par presse interposée en me proférant même des menaces. Quand le résultat du procès est sorti et que j’ai gagné, Anderlecht m’a proposé un contrat. Je me suis dit que c’est bon, Dieu merci, tout va bien se passer. Mais, ce n’était que l’autre partie de la galère. A Anderlecht, j’y avais trouvé de grands joueurs comme Polak et d’autres internationaux. Je ne me suis pas fait convoquer jusqu’à la 5e journée, avant de me faire prêter.

Le coach convoque comme 19e joueurs du match. Il me demande de rester dans les gradins. En réalité, il voulait me prêter. Quand il m’a fait savoir que j’allais être prêté à Courtrai, j’avais même pleuré ce soir-là.

Entre Courtrai et Bruxelles, il fallait faire plusieurs heures en voiture. Mais il faut reconnaître que le club de Courtrai était mieux que celui de Bruxelles. Là-bas aussi, on me met sur le banc jusqu’à la 5e journée. Je pars voir le coach pour lui dire que je suis venu pour jouer. Sinon, il fallait me laisser à Anderlechet. Les dirigeants du RCA avaient même appelé ceux de Courtrai pour leur parler. Mais vous savez, quand Dieu décide, les choses bougent. Lors du derby face à Zulte Waregem, notre capitaine se blesse et Karim Belhocine (Ndlr : Actuel coach Charleroi) recule et je joue au milieu.

C’est ce jour-là que tout le monde a commencé à me respecter dans le club. Et tout a commencé à bouger jusqu’en Décembre où mon ancien agent en France vient me kidnapper avec de gros bras. Ils cherchent à me faire entrer dans leur voiture avec une arme. Je ne comprenais rien. S’il devait me tuer, il allait le faire à cet instant. Les autres coéquipiers avec qui j’étais avaient pris la fuite, mais quand Koulibaly est arrivé, il a assommé l’un d’entre-eux et m’a demandé d’entrer dans sa voiture pour partir avec les autres.

Alors, l’agent dit que si jamais je lui remettais 30.000 euros, il allait me laisser tranquille. Il commence à inventer des histoires en m’accusant même de vol en plus. Imaginez, il dit que j’avais pris de l’argent chez le monsieur qui m’avait hébergé. Le lendemain, le coach me demande si j’allais pouvoir jouer : je lui réponds oui. A la fin de la saison, le Standard Liège vient me chercher. Je fais savoir à László Bölöni que j’étais un joueur du Racing Club d’Anderlecht qui m’avait fait savoir que j’allais avoir de la chance.

Lors de mon premier match amical avec Anderlecht, je me blesse à la pommette et je reste six (6) semaines. Après ma convalescence, on part jouer contre le Dynamo Zagreb (Ndlr : Croatie). C’était l’année pendant laquelle Christophe Diandy était venu nous rejoindre au RCA. Je n’étais pas avisé au départ. J’ai vu mon nom dans le 11 de départ sans rien comprendre. C’était ma première titularisation avec Romelu Lukaku et les autres aussi. Je finis par une belle prestation.

On joue contre la Gantoise et je me casse le nez. Le médecin du club me dit que je n’allais pas pouvoir continuer, je refuse et le coach finit par me sortir du terrain. Je commence à pleurer parce que je ne comprenais pas ce qui m’arrivait et j’ignorais aussi les conséquences de la blessure.

Le lendemain, je me retrouve avec un visage gonflé, avant que je ne me fasse opérer. C’est ce qui m’avait même amené à porter le masque. Face à Malines, on m’envoie la balle sur le visage. Le sang commence à couler. Il y avait même un coéquipier qui se demandait pourquoi encore moi ? Je me rappelle que la presse avait même titré « Cheikhou Kouyaté la poisse. »

Le transfert avorté vers Tottenham

« Je venais d’arriver en Angleterre et je commençais à me faire remarquer. Je me souviens que face à Tottenham, Momo Diamé était venu me dire : Cheikhou, c’est la rencontre où je tu dois tout prouver. Et c’était bien mon match parce qu’à la fin, je me rappelle qu’Emmanuel Adebayor était venu me féliciter pour ma prestation. Je pouvais partir de West Ham parce que j’avais déjà tout prouvé et le coach me voulait (Ndlr : Mauricio Pochettino).

Je voulais partir. J’en parle à mon coach de l’époque, Slaven Bilic qui s’y oppose. Il me parle de la rivalité entre les clubs à Londres etc. Je lui dis que je n’allais pas jouer le match d’après si jamais il refuse. On devait avoir Liverpool comme adversaire après.

Je me souviens même que Diafra Sakho avait même marqué lors de ce match-là. Le coach me donne le feu vert en me faisant croire que j’allais jouer le match puis signer à Tottenham. Le lendemain du match, personne dans le club ne répond à nos appels alors qu’on avait rendez-vous avec les dirigeants des Spurs.

Dans un entretien publié dans la presse anglaise, le président adjoint de West Ham, David Sullivan, reconnait avoir été appelé par les dirigeants de Tottenham, intéressés pour un transfert du milieu de terrain des Hammers. « Ils m’ont dit ‘’Combien prendriez-vous pour Kouyaté ?’’ Nous avons dit que nous prendrions Harry Kane. Silence de l’autre côté du fil », disait-t-il au Daily Mirror.

« Nous ne vendrions pas Kouyaté. Il n’est pas à vendre. Il a signé son nouveau contrat et il est revenu très motivé le lendemain. Il est énorme, un vrai athlète, très svelte. Un très bon joueur », poursuivait-il.

Une fois que les africains sont bien payés, ils commencent à se lâcher

C’est après qu’ils m’ont proposé un nouveau contrat. Imaginez, mon ancien agent s’y met aussi en m’amenant un contrat dont je n’étais au courant de rien. En plus, je ne pouvais pas comprendre l’écart dans la masse salariale avec certains joueurs. Ce qui m’a énervé, c’est quand un dirigeant venu me dire qu’une fois que les africains sont bien payés, ils commencent à se lâcher.

Ses paroles m’avaient mis dans mon état parce que c’était un manque de respect envers nous les africains. C’est pourquoi je dis que tout respect acquis dans les clubs s’acquiert par soi-même. La saison d’après, on part dans le nouveau stade olympique et on fait une mauvaise saison. On avait failli descendre en Championship et le départ des gros contrats commencent à occuper les débats. Crystal Palace vient me proposer un contrat en me présentant son projet, je me dis pourquoi pas, puis que les choses commencent à se compliquer à West Ham United.

J’arrive à Crystal, des fois je me blesse, des fois je joue ou je me retrouve sur le banc. Je parle au coach, il me parle de la concurrence et je l’accepte. Je garde le côté positif et je me dis que seul mon travail peut m’amener à gagner le respect et la confiance du coach. Je m’y mets et prends chaque match pour une finale. », a conclu le Lion. C’est comme ça que je me suis imposé ».

Après avoir écouté le capitaine de la sélection du Sénégal aux 57 sélections, on se rend compte que son parcours a été celui d’un vrai combattant. Une exemple de persévérance et de foi pour un joueur parti du plus bas vers le sommet du football européen, où il évolue. Son rêve de jouer en Premier League s’est réalisé surtout après une belle prestation lors des Jeux Olympiques de Londres 2012.

Une compétition qui avait permis à Sadio Mané, Gana Guèye, Pape Ndiaye Souaré, Pape Moussa Konaté, Stéphane Badji, Ousmane Mané se de révéler et attirer l’attention des observateurs. Cette saison, le vice-champion d’Afrique a disputé 28 rencontres, soit sur un total de 2.082 minutes disputées en toutes compétitions confondues avec Crystal Palace (Ndlr : 11e, 39 points).

Chérif Sadio

Reporter indépendant.

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