La désignation d’un nouveau président à la tête de la Fédération Sénégalaise de Football (FSF) ne peut se réduire à un débat de personnes, ni à une compétition de notoriétés. Elle engage des choix institutionnels et stratégiques dont les effets dépasseront largement la prochaine mandature.
Le profil idéal ne se définit pas uniquement par un parcours ou par des succès ponctuels, mais par la capacité à piloter un système complexe, à anticiper des mutations structurelles et à bâtir une vision collective sur le long terme.
La présidence de la FSF : un mandat d’ingénierie systémique, pas une simple fonction représentative
La FSF n’est pas seulement une instance sportive ; elle est une organisation qui articule des intérêts hétérogènes (clubs professionnels et amateurs, ligues régionales, acteurs publics, partenaires économiques, institutions internationales). Le président doit donc posséder trois compétences essentielles :
• Une vision stratégique longue : définir un cap pour 2030-2040, en intégrant la place du football sénégalais dans l’écosystème africain et mondial.
• Une capacité de gouvernance complexe : arbitrer des rivalités internes, gérer des ressources financières limitées et sécuriser la cohérence institutionnelle.
• Une aptitude opérationnelle : transformer une ambition en mécanismes concrets (règlementation, infrastructures, financements, formation des dirigeants, compétitions locales).
Aliou Goloko – le communicant international
Le journaliste de formation a une forte visibilité médiatique, des réseaux CAF et FIFA ET une légitimité d’image. Son angle mort est qu’il n’a aucune expérience dans la structuration locale, ni dans le management d’un club ou d’une ligue en tant que dirigeant, bien qu’il a eu à conseillé des dirigeants locaux comme il l’a récemment souligné. Bien qu’ambitieux, son projet pourrait rester dans le registre de la représentation internationale sans transformation en profondeur.
Abdoulaye Fall – le produit d’un système qu’il prétend réformer
Il a la maîtrise des rouages internes et des équilibres politiques existants pour avoir collaboré avec le président sortant jusqu’aux derniers jours du mandat de ce dernier. Abdoulaye Fall, une candidature surprise mais qui semble soutenu par la majorité des anciens collaborateurs de Senghor est dans une dynamique de promesses parfois irréalistes (Ndlr : doter le vainqueur de la Ligue 1 de 500 millions dès la saison prochaine). Il est difficile de convaincre de nombreux observateurs qu’il porte une rupture authentique alors qu’il incarne la continuité de l’équipe sortante. Le risque avec sa probable élection est qu’il reproduise une gouvernance hybride, ni totalement innovante, ni pleinement assumée comme conservatrice.
Mady Touré – l’architecte de terrain
Mady est la preuve par l’action, via Génération Foot, un modèle reconnu de performance sportive et économique. Malgré le riche palmarès de son academie, il dégage une sorte de leadership très vertical, centré sur une structure unique, difficilement transposable à une fédération plurielle. Il se présente avec un projet intéréssant, mais adossé dans un style de management trop directif pour une institution qui exige négociation, compromis et inclusion. Il prone pour une sorte de ruputure avec les « pratiques anciennes », aime-t-il dire.
Augustin Senghor – la stabilité devenue inertie
Le Président sortant détient une expérience diplomatique avérée, accompagnée de bilans internationaux (Coupes d’Afrique remportées en toutes catégories confondues, Championnat d’Afriqye des Nations et Beach Soccer remportés avec le Sénégal) très riches. Il prône pour une continuité administrative. Son angle mort est sa gouvernance davantage tournée vers la gestion que vers la transformation structurelle. Il risque, en cas de victoire, de maintenir une dynamique qui a atteint ses limites dans un environnement désormais plus compétitif et exigeant.
Les véritables critères de sélection d’un président crédible
Le débat public de ces derniers jours entre candidats s’est focalisé sur des qualités visibles (discours, réseaux, palmarès). Or, les critères déterminants pour la réussite réelle devraient être d’un autre ordre. Le football sénégalais espère voir cheez les candidats une capacité de projection systémique : imaginer la FSF non comme une entité gestionnaire, mais comme un acteur économique et social majeur. Une institutionnalisation des pratiques : sortir des logiques personnalisées pour ancrer des règles stables et durables.
Les amateurs du football local attendent aussi la professionnalisation intégrale : clubs, arbitrage, ligues, formation des dirigeants, attractivité commerciale. Une gouvernance partagée : intégrer toutes les régions et réduire la centralisation décisionnelle pour créer un football national inclusif. Mais aussi, une résilience politique : gérer les crises (financières, diplomatiques, sportives) sans sacrifier la cohérence stratégique.
Un enjeu qui dépasse l’élection : vers un changement de paradigme
Cette élection n’est pas simplement un rendez-vous fédéral, c’est un test politique pour tout le football sénégalais. Deux trajectoires sont possibles :
• Un scénario conservateur : prolonger un modèle administratif qui maintient des résultats à court terme, mais laisse inchangées les fragilités structurelles (championnat peu attractif, dépendance financière, faible structuration des clubs).
• Un scénario de transformation : oser une refonte profonde, exigeant des réformes potentiellement impopulaires mais indispensables pour hisser durablement le Sénégal dans la cour des nations qui produisent et exploitent leur talent local.
L’enjeu démocratique : voter pour un projet, pas pour une personne
Dans la plupart des fédérations sportives africaines, y compris la FSF, les élections demeurent souvent prisonnières de logiques de proximité, d’allégeances personnelles ou de calculs régionaux. Cette approche, plus politicienne que stratégique, conduit à un paradoxe : les clubs votent pour des « alliés » plutôt que pour des réformateurs, affaiblissant ainsi leur propre avenir.
Le vote fédéral ne peut plus être un prolongement de réseaux d’amitié ou de clientélisme. Les clubs doivent se considérer non comme des « électeurs fidèles », mais comme des actionnaires d’un système économique commun dont la performance dépend directement de la qualité de la gouvernance fédérale. Voter par affect, c’est accepter de rester dans un football local sous-financé, peu structuré et dépendant d’acteurs extérieurs.
Vers un football sénégalais transformé en industrie
Le Sénégal dispose d’un vivier exceptionnel de talents, mais sa chaîne de valeur reste fragmentée et sous-exploitée. Tant que la FSF ne deviendra pas le moteur d’une véritable économie du football, elle restera un organe de gestion administrative et non un acteur de développement.
Les clubs doivent exiger de chaque candidat :
• Un programme chiffré et réaliste, articulé autour d’objectifs mesurables (infrastructures, droits TV, formation des dirigeants, partenariats privés).
• Une vision d’industrialisation : passage d’un modèle artisanal à un système générateur de revenus (billetterie, merchandising, sponsoring structuré, marketing régional).
• Des engagements vérifiables : délais, indicateurs de résultats, mécanismes de suivi.
Il ne suffit plus de promettre des « réformes » ou d’évoquer le « développement du football local » dans des discours électoraux. La crédibilité se mesure à la fois par l’expérience passée et par la capacité à détailler le « comment » plutôt que le « quoi ».
Le profil attendu : des hommes visionnaires, compétents et intègres
Un président de la FSF doit réunir trois qualités fondamentales : une vision stratégique, une expertise opérationnelle, une intégrité et une crédibilité irréprochable. Être capable de penser au-delà d’un mandat, avec une projection à 10 ou 15 ans. Avoir déjà démontré, dans une structure sportive ou institutionnelle, qu’il peut transformer une idée en résultat mesurable. Car, sans transparence ni honnêteté, aucune réforme structurelle ne peut tenir dans le temps. Les clubs ont donc la responsabilité historique de choisir un dirigeant sur des preuves et un programme, pas sur des slogans, des promesses vagues ou des alliances opportunistes.
Un scrutin fondateur, pas une routine électorale
La prochaine élection n’est pas un événement isolé : elle déterminera si le Sénégal entre dans une nouvelle ère où son football local devient une véritable industrie structurée, ou s’il reste un fournisseur de talents bruts pour des marchés étrangers, sans en tirer la pleine valeur économique et sociale. Les clubs doivent voter en « actionnaires responsables », non en partisans. Un président qui ne sait pas industrialiser le football sénégalais condamnera toute une génération à reproduire les mêmes fragilités.