Après la victoire étonnante du Stade Rennais face à l’Olympique de Marseille, Habib Beye se retrouve au centre de toutes les discussions. Ancien défenseur international et consultant reconnu, l’entraîneur sénégalais du club breton, a su, en peu de temps, transformer une équipe en difficulté en une formation solide et ambitieuse.
Pour décrypter cette performance et remettre en perspective les critiques dont il fait l’objet, nous avons rencontré Chérif Sadio, expert du football sénégalais, dirigeant de club en France et au Sénégal, observateur attentif de la Ligue 1.
Chérif, que pensez-vous de la manière dont Habib Beye est perçu par certains critiques ?
La saison ne fait que démarrer et je pense qu’il faut se calmer un peu à propos de Bèye. Il n’a pas dit qu’il va gagner la Ligue 1 ou battre les meilleurs, il ne fait que suivre son rêve en se mettant face aux défis et exigences du haut niveau. Je comprends qu’il soit clivant en tant qu’entraîneur parce que beaucoup de facteurs contribuent à ce qu’il soit ciblé par les critiques, même quand il fait de bonnes choses. Il n’est pas arrivé à Rennes par hasard. Il a fait un chemin remarquable : d’entraîneur assistant à Poissy, puis au Red Star, où il a fini entraineur principal et fait monter l’équipe en Ligue 2. Il a refusé de poursuivre l’aventure là-bas parce qu’il voulait un club de Ligue 1, allant même jusqu’à rester au chômage plutôt que de prendre Nantes, car il ne voulait pas qu’on lui impose un staff technique. Puis il prend Rennes, qui était 16e, barragiste, qui était dans ne condamnation probable vers la relégation, et il l’amène à se maintenir en Ligue 1 et remporte à 10 contre 11 la première journée de la nouvelle saison face à l’OM dont il fut le capitaine par le passé. Ça mérite du respect.
Pensez -vous que toutes ces critiques sont justifiées ?
Certaines le sont quand il s’agit de parler des aspects technicotactiques de son équipe, mais d’autres ne le sont aucunement pas. Certaines personnes veulent lui faire payer ses analyses quand il était consultant à Canal+, et ces gens ne supportent pas qu’il soit désormais entraîneur et qu’il réalise certaines prouesses, car ils l’ont figé comme ancien footballeur et consultant. Dans leur conscience collective, Habib ne doit qu’être consultant, rien d’autre. Et cela empêche toute objectivité dans leurs critiques.
Pourquoi ?
Malheureusement, cela fait désormais partie de l’écosystème médiatique moderne du football. Mais il faut relativiser aussi, puisque Pep Guardiola, malgré tout ce qu’il a apporté, est souvent la cible des critiques parfois gratuites, pourquoi pas Habib qui n’est qu’à ses débuts. Au final, ils veulent peut-être sponsoriser les émotions de ceux qui apprécient les réussites et finir par faire des autres des robots, programmés à ne rien apprécier lorsqu’une personne accomplit quelque chose de remarquable, sous prétexte qu’on la félicite trop ou simplement parce qu’ils ne l’aiment pas.
Revenons à la rencontre d’hier contre Marseille. Comment a-t-il réussi son match ?
Il ne va pas gagner tous ses matchs, mais il est sur une bonne voie, à l’image d’autres jeunes entraineurs. Les critiques sont inévitables, mais la compétence et le mérite finissent toujours par se voir sur le terrain. A lui de se donner les moyens de faire taire ces haters. Habib n’est pas encore arrivé au niveau de Luis Henrique ou Pep Guadiola ou Jurgen Klopp, mais il a parfaitement réussi sa rencontre d’hier face à de Zerbi, dont l’équipe était jusque-là une formation solide, impressionnante durant la préparation, et qui partait favorite avant le coup d’envoi.
Comment ?
Il a simplement mis en application ce qu’il avait déjà annoncé en conférence de presse. Il avait bien précisé : « Marseille est une équipe qui continue d’avoir une forte force offensive, grâce à ses joueurs individuels et à son style de jeu. Ils ont terminé deuxièmes de Ligue 1 l’année dernière et sont candidats au titre cette saison. Nous devons être capables de rivaliser avec cette équipe, notamment grâce à la confiance que nous avons acquise pendant notre préparation. Voilà l’ambition que nous devons tous avoir. »
Pouvez-vous nous détailler les faits du match ?
Bien sûr. Plusieurs points sont à souligner :
- Il a donné le brassard de capitaine à Valentin Rongier, à peine arrivé et déjà décrié en tant qu’ancien joueur de Nantes. Il l’a désigné capitaine en sachant qu’une partie des supporters rennais était en désaccord avec ce choix.
- Il a exclu Mikayil Ngor Faye du groupe pour un retard. Ce dernier devait être titulaire, et il l’a remplacé par un joueur de 2006, Abdelhamid Aït Boudlal, qui a reçu un carton rouge à la 33e minute.
- Après cette expulsion, il a remplacé son attaquant de pointe, Kader Meïté, par un défenseur central, Christopher Wooh, plutôt que de repositionner un milieu de terrain en défense.
- Il a réussi à bloquer l’intérieur sur Greenwood et Rowe, à museler Rabiot, et à laisser Kondogbia libre afin de neutraliser Léo Balerdi, efficace dans la relance.
- En seconde période, il a remplacé son milieu relayeur Seko Fofana par un attaquant, Ludovic Blas, qui était naturellement titulaire mais remplaçant ce soir-là. Il a senti que la défense marseillaise restait prenable depuis la première mi-temps, malgré l’infériorité numérique de ses joueurs. Et c’est ce même Blas, entré en jeu, qui a marqué le but de la victoire (1-0), un but bien construit en plus.
Et pourtant certains observateurs sur les médias sociaux refusent de reconnaître la performance ?
Ils sont dans leur droit, mais vouloir empêcher à des êtres humains qui observent et analysent des rencontres d’apprécier la réussite d’Habib Beye dans cette rencontre d’hier n’est peut-être plus du football, mais autre chose. Hier soir, il a démontré toutes ses qualités. Il a su lire le match, anticiper les mouvements adverses et ajuster ses choix tactiques avec audace, même en infériorité numérique. Ceux qui veulent ignorer ses réussites feraient mieux de regarder la réalité en face : Beye est un entraîneur réfléchi, courageux et capable de transformer un collectif.
Chérif, après ce succès, comment Beye peut-il continuer à convaincre et à s’imposer comme entraîneur respecté en Ligue 1 ?
La clé pour lui est de rester fidèle à ses principes. Il a montré qu’il savait lire le jeu, adapter ses choix tactiques et motiver ses joueurs depuis Red Star et il l’applique à Rennes depuis son arrivée. Nous avons vvu les interviews des joueurs rennais qui louent ses innovations et tout ce qu’il leur apporte en termes d’intensité à l’entrainement, de mental, entre autres. Pour continuer à convaincre, il doit maintenir cette constance, mais aussi rester humble, comme il l’a toujours été. Le succès attire toujours des critiques ; l’humilité permet de se concentrer sur le travail plutôt que sur le bruit extérieur.
Quels éléments sont essentiels pour qu’il construise une dynamique positive sur la durée ?
La cohésion du groupe est primordiale. Il doit continuer à instaurer un esprit d’équipe fort, où chaque joueur se sent valorisé et responsable. La rigueur tactique et l’adaptabilité face aux différentes équipes sont également essentielles. Il faut qu’il capitalise sur ses réussites, analyse ses erreurs, et ne jamais perdre de vue que le respect des joueurs, des supporters et du club est une valeur fondamentale.
L’expérience et la patience comptent-t-elles dans sa progression ?
Absolument. Habib a déjà une expérience solide, mais le football est un apprentissage permanent. Chaque match est un défi différent, et la patience lui permettra de bâtir une trajectoire stable. Savoir prendre du recul, gérer les défaites comme les victoires, et rester concentré sur ses objectifs à long terme est ce qui fera de lui un entraîneur complet et respecté.
Que peut-on attendre de lui dans les prochains mois ?
Il lui faut un attaquant de pointe tueur pour réussir les temps forts de son équipe. Hier, si Rennes avait un attaquant expérimenté en pointe, Marseille allait prendre au moins deux buts à 11 contre 11 parce que Meité (Ndlr : 17 ans) était à deux doigts de surprendre les phocéens. Son équipe a subit le jeu face à l’OM et il l’avait prédit avant la rencontre, mais elle sait construite le jeu et sortir le ballon de façon fluide. A partir du moment où son équipe sait construire et se procurer des occasions, il faut des tueurs devant et cela manque à son équipe. J’ai peur que ce facteur lui coûte cher dans la durée. En revanche, on peut toujours s’attendre à ce qu’il continue à surprendre par ses choix tactiques et sa capacité à tirer le meilleur de son effectif. Si Rennes reste discipliné, ambitieux et solidaire, Beye pourra consolider sa crédibilité et transformer le club en une équipe régulièrement compétitive en Ligue 1.