Élu pour la première fois en 2009, Me Augustin Senghor a marqué de son empreinte le football sénégalais pendant plus de 15 ans. Son parcours à la tête de la Fédération sénégalaise de football (FSF) se confond avec l’essor spectaculaire des Lions de la Teranga, jusqu’à la première consécration continentale de leur histoire en 2022. Aujourd’hui, avec son élimination dès le premier tour de l’élection de 2025, se referme un chapitre déterminant du sport sénégalais.
Un règne jalonné de victoires électorales
Tout commence en 2009 : Senghor s’impose au premier tour avec 170 voix face à Malick Gakou. Fort de ce premier succès, il assoit rapidement son autorité dans un environnement souvent marqué par les querelles de leadership.
Il confirme son emprise en 2013, écrasant le scrutin avec 289 voix sur 376 exprimées, loin devant son challenger Mady Touré. Senghor incarne alors la continuité et une vision modernisatrice, soutenue par la majorité des acteurs du football national.
En 2017, il doit s’employer davantage, mais parvient à l’emporter au second tour face à Mbaye Diouf Dia (260 voix contre 151), un signe d’un début de contestation. Pourtant, il sort renforcé de ce scrutin et engage de profondes réformes au sein de la FSF.
En 2021, dans un contexte post-CAN 2019 où le Sénégal avait échoué en finale, Senghor gagne encore au premier tour face à Mady Touré, avec 326 voix sur 509 votants : un plébiscite qui traduit la confiance renouvelée des ligues et clubs.
Mais en 2025, le vent tourne : Senghor est éliminé dès le premier tour avec seulement 92 voix, preuve d’une usure du pouvoir et d’une volonté de renouveau des acteurs du football sénégalais après un règne ininterrompu de 15 ans.
Le bâtisseur du renouveau du football sénégalais
Au-delà des victoires électorales, le bilan sportif de Me Augustin Senghor est indéniablement l’un des plus brillants de l’histoire du Sénégal. Sous sa présidence :
• Les Lions de la Teranga ont remporté la première Coupe d’Afrique des nations de leur histoire en 2022, après deux finales perdues (2002 et 2019).
• Le Sénégal s’est qualifié pour deux Coupes du monde consécutives, en 2018 et 2022, confirmant sa place parmi les grandes nations africaines.
• Les Lions locaux ont remporté le CHAN 2022 et le Championnat U20 en 2023, prouvant la vitalité des jeunes générations.
• Senghor a également contribué à améliorer les infrastructures, notamment avec la rénovation et la mise aux normes internationales du stade Léopold Sédar Senghor et la construction de stades modernes dans plusieurs régions.
• Il a été élu premier vice-président de la CAF en 2021, preuve de son poids sur la scène continentale.
Entre continuité et nécessité de renouveau
Pourtant, ce long règne n’a pas été exempt de critiques : le manque de professionnalisation de la Ligue sénégalaise, la gouvernance souvent jugée trop centralisée, ou encore la persistance de difficultés dans le championnat local ont alimenté une lassitude grandissante.
Son élimination au premier tour en 2025 révèle un signal clair : le football sénégalais, riche de ses succès récents, veut désormais écrire une nouvelle page, sous l’impulsion de visages neufs.
Quoi qu’il advienne, Me Augustin Senghor restera comme l’un des dirigeants les plus emblématiques de l’histoire sportive du Sénégal. Architecte du sacre continental, il laisse un héritage sportif incomparable, même si la transition qui s’ouvre promet d’être scrutée avec attention par les supporters des Lions comme par tous les observateurs du ballon rond en Afrique.
Des réformes structurelles aux défis du football local
Au-delà des résultats de l’équipe nationale, Me Augustin Senghor a œuvré pour poser les bases d’un football plus structuré. Sous sa direction, la FSF a mis en place plusieurs réformes administratives et techniques, notamment la réorganisation des ligues régionales, l’adoption de statuts modernisés alignés sur les recommandations de la FIFA et de la CAF, et la professionnalisation partielle du championnat de Ligue 1 sénégalaise.
Cependant, la question du financement du football local est restée une ombre au tableau. Les clubs sénégalais, malgré la qualité des talents qu’ils révèlent chaque année, peinent toujours à attirer des sponsors solides et à générer des revenus stables. La Ligue professionnelle a souffert de plusieurs interruptions, de problèmes de trésorerie, et d’un désintérêt progressif d’une partie du public pour les compétitions locales. Ce paradoxe entre l’excellence des Lions et la fragilité du championnat national a alimenté une partie des critiques contre la gouvernance de Senghor.
Le rôle international de Senghor : un héritage incontestable
Sur le plan continental et mondial, Augustin Senghor a largement contribué à la visibilité du football sénégalais. Membre influent du Comité exécutif de la CAF, il a participé activement aux discussions stratégiques sur les formats des compétitions africaines, le développement des infrastructures et les nouveaux projets de compétitions de clubs comme la Super Ligue africaine.
Son rôle de premier vice-président de la CAF l’a placé au cœur des enjeux majeurs du football africain : négociations des droits télé, partenariats commerciaux, ou encore relations avec la FIFA. Ce réseau tissé au fil des années a permis au Sénégal de peser davantage sur la scène africaine.
Que peut-on réellement reprocher à Me Senghor ?
La première réponse est peut-être sa gouvernance jugée trop centralisée. Beaucoup d’acteurs du football sénégalais, notamment des dirigeants de clubs et de ligues régionales, ont dénoncé une prise de décision jugée trop concentrée autour de Senghor et de son cercle rapproché, avec une faible implication des structures locales dans les grandes orientations de la FSF.
Le manque de professionnalisation du football local
Malgré des promesses répétées, la Ligue 1 et la Ligue 2 sénégalaise reste semi-professionnelle et peine à s’imposer comme un championnat stable et attractif. On a assisté à des saisons interrompues ou mal organisées, des difficultés de trésorerie pour les clubs et un déficit chronique de sponsors.
Peu d’investissements directs et durables dans la formation locale
Certes, le Sénégal regorge de talents, mais la structuration des académies et la mise en place de véritables centres de formation régionaux sous l’égide de la FSF ont tardé à se concrétiser. Beaucoup estiment qu’il s’est appuyé sur le travail des académies privées (Génération Foot, Diambars) sans impulser de politique publique solide pour la formation.
La faible attractivité du championnat pour le grand public
Les affluences dans les stades locaux sont restées faibles, signe d’un manque de stratégie marketing et d’événementialisation du championnat. Des compétitions peu médiatisées et un calendrier souvent perturbé ont contribué à l’érosion de l’intérêt populaire.
Transparence financière perfectible
Bien que la FSF ait bénéficié d’importants soutiens financiers, notamment de la FIFA et de sponsors, la communication sur l’utilisation des fonds a souvent été jugée insuffisante. Des voix ont demandé plus de clarté dans la gestion et la redistribution des ressources au bénéfice des clubs et des ligues.
Relations parfois tendues avec certains acteurs
En 15 ans, Senghor s’est forgé des opposants. Certains clubs et personnalités du football lui reprochent un dialogue insuffisant, voire un manque de considération pour les critiques, alimentant un climat conflictuel dans certaines phases de son mandat. Ce qui lui a valu la fronde de tout son comité executif soutenant le camp du dernier vainqueur des élections, Abdoulaye Fall, par ailleurs trésorier général de la FSF sous son magistère.
Les critiques adressées à Me Senghor ne retirent rien à ses grandes réussites sportives, mais elles traduisent le sentiment qu’il a priorisé les performances de l’équipe nationale au détriment d’une réforme en profondeur du football local. Ces points faibles ont contribué à la lassitude d’une partie des acteurs du foot sénégalais et ont pesé dans son élimination dès le premier tour en 2025.
L’après-Senghor : Une page qui se tourne, un avenir à écrire
La nouvelle direction de la FSF, issue de l’élection de 2025, hérite d’un football sénégalais fort sur le plan international, mais encore fragile dans ses fondations domestiques. Les chantiers prioritaires semblent déjà tracés :
• La professionnalisation et la stabilisation de la Ligue 1 pour en faire un championnat compétitif et attractif.
• Le développement des infrastructures dans les régions pour accompagner la détection et la formation des jeunes talents.
• L’amélioration des mécanismes de gouvernance et de transparence financière pour restaurer la confiance entre la FSF, les clubs et les acteurs du football.
• La relance de la formation des cadres techniques, arbitres et dirigeants locaux afin de pérenniser les succès sportifs par une structuration solide.
L’histoire retiendra qu’Augustin Senghor a conduit le football sénégalais vers ses plus grandes heures, avec un premier trophée continental en 2022 et une génération dorée menée par Sadio Mané, Kalidou Koulibaly ou Édouard Mendy. Sa longévité et son engagement ont contribué à inscrire durablement le Sénégal parmi les grandes nations africaines.
Mais après 15 ans, l’heure est au changement. Un nouveau chapitre s’ouvre pour le football sénégalais, entre espoirs et responsabilités, avec un seul objectif : confirmer que le sacre de 2022 n’était pas un exploit isolé, mais le point de départ d’une domination durable sur le continent.