Dans l’écosystème du football européen, certains clubs excellent non pas à gagner la Ligue des Champions, mais à gagner le mercato.
Le Racing Club de Strasbourg, sous l’impulsion de son nouveau propriétaire BlueCo (holding de Chelsea), est en train d’écrire un nouveau chapitre, audacieux et lucratif, dans son histoire déjà riche. Et au cœur de cette stratégie : un flair particulier pour les talents sénégalais.
L’été 2024 restera comme un tournant. Alors que le club alsacien prépare sa saison sur la scène sportive, il signe deux opérations financières majeures qui envoient un message fort à toute l’Europe : Habib Diarra, joyau de 20 ans formé au club, s’envole pour Sunderland pour 30 millions d’euros. Quelques années avant, son aîné et leader de l’attaque, Habib Diallo, rejoignait le championnat saoudien d’Al Shabab pour 18 millions d’euros.
Deux visages, deux parcours, une même success-story strasbourgeoise. Diarra, l’éclatant produit d’un centre de formation devenu ultra-performant, incarne la valeur montante. Diallo, le buteur mature et leader, représentait la valorisation par la performance. Ensemble, ils illustrent la double casquette, désormais assumée, d’un club qui est à la fois un fabrique de pépites et une plateforme de revente de haut niveau.
La tradition Niang : le précurseur
Cette stratégie n’est pas née d’hier. Elle puise ses racines dans une histoire d’amour entre l’Alsace et le Sénégal. Il faut remonter à 2005 pour en trouver la première expression marquante. Alors que le club venait de remporter le titre de Ligue 2, Mamadou Niang, véritable ogre offensif ayant marqué 21 buts, était transféré à l’Olympique de Marseille pour 7 millions d’euros. Une somme colossale pour un club de deuxième division à l’époque. Niang n’était pas un produit du centre, mais il a prouvé que Strasbourg pouvait être un tremplin idéal pour les attaquants sénégalais visant l’élite.
Mamadou Sarr : la relève au nom du père
Le transfert du fils de Pape Sarr (ex-joueur de Saint Etienne), Mamadou Sarr à Chelsea à l’été 2023 pour 14 millions d’euros, alors qu’il n’avait que 19 ans, est l’exemple parfait de cette synergie. Le groupe BlueCo, propriétaire des deux clubs, a certes facilité l’opération, mais elle démontre la confiance absolue dans la capacité strasbourgeoise à identifier et à développer les diamants bruts.
Un modèle économique qui s’affirme
Avec les départs de Diarra (31 millions), Diallo (18 millions), Bakwa (35 millions), Bellegarde (15 millions), Simankan (15 millions), Fofana (15 millions), Aholou (14 millions), Sarr (14 milions), Luyindula (8 millions) et Niang (7 millions) par le passé, Strasbourg dépasse allègrement des centaines de millions d’euros de recettes ces derniers étés et consolide une santé financière robuste ces dernières saisons avec l’arrivée de BlueCo. Ce modèle, au-delà de la multi-propriété, parait un peu similaire à celui de l’Ajax Amsterdam, du RB Salzburg ou du LOSC Lille, consiste à recruter ou former jeune, à offrir du temps de jeu en Ligue 1, et à revendre avec une plus-value significative.
La particularité strasbourgeoise réside dans sa spécialisation géographique. Le Sénégal, avec son football en plein essor et ses joueurs réputés pour leur physique et leur état d’esprit, est devenu une mine d’or. Le Racing y a installé une antenne scouting des plus efficaces, lui donnant une longueur d’avance sur de nombreux concurrents.
L’avenir : entre défis et ambitions
Le défi, désormais, est de réussir la quadrature du cercle : continuer à vendre cher tout en maintenant, voire en améliorant, les résultats sportifs. La tentation pourrait être de devenir une simple « boutique » sur le marché des transferts. Mais la volonté affichée par BlueCo est différente : utiliser ces recettes pour renforcer l’ensemble de l’effectif, investir dans l’infrastructure et viser, à moyen terme, les places européennes.
Strasbourg ne se contente plus de former des joueurs pour le compte des autres. Le club construit, patiemment et intelligemment, une identité moderne où le talent sénégalais est la pierre angulaire d’un projet ambitieux, capable de rivaliser sur le plan économique avec les plus grands. La preuve, désormais, est faite : en Alsace, on ne fait pas que de la choucroute et du vin blanc. On forge aussi des perles footballistiques, « made in Senegal ».