L’ère post-Aliou Cissé est ouverte avec beaucoup d’équations à résoudre par le nouveau sélectionneur des Lions. Aux commandes du navire sénégalais, Pape Thiaw, l’ancien attaquant au profil sans fioritures, navigue sur une mer paradoxale : celle de la continuité exigée et du renouveau espéré.
Dakar, 18 Sept. 2025 – Après les premiers matches officiels et les rencontres amicales face à des sélections de renom, une philosophie semble se dessiner, faite de petites audaces et de grands héritages. Notre rédaction a décortiqué avec son consultant maison, les premiers soubresauts des Lions sous nouvelle direction, après la victoire laborieuse (2-3) à Kinshasa.
Une sorte d’identité tactique en éclosion
Sur le papier, le 4-3-3 de rigueur n’a pas changé. Sur la pelouse, pourtant, une nuance notable distingue déjà le mandat Thiaw de celui de son illustre prédécesseur. « L’idée est claire : verticalité mais avec davantage de fluidité dans le dernier tiers », nous analyse Chérif Sadio, nouveau directeur de développement, des stratégies et des partenariats de l’Institut Diambars Football Club.
« Sous Cissé, le jeu était très structuré, presque mécanique, avec très peu de spectacles mais il survolait les poules en éliminatoires. Thiaw, lui, injecte une dose de liberté créative dans la construction du jeu. On le voit avec Iliman Ndiaye, qui a désormais la licence pour errer entre les lignes, chercher la passe qui tue, comme ce fut le cas face à la République Démocratique du Congo. C’est un risque, mais c’est aussi ce qui peut nous différencier au plus haut niveau. »
Le point le plus frappant est l’éclosion de Pape Matar Sarr. Le milieu de Tottenham s’est vu octroyer un rôle de « box-to-box » amplifié, avec une incitation permanente à pénétrer dans la surface. « Statistiquement, c’est flagrant », souligne-t-il. « Sous Cissé, Pape Matar touchait très peu de ballons dans la surface adverse par match. Il se suffisait à son registre de récepteur et passer triangulaire, mais surtout avec des passes latéral ou des retours vers les défenseurs axiaux, alors que la première option d’une sentinelle ou d’un milieu défensif après la réception du ballon est de jouer devant ou verticalement par défaut, en arrière exceptionnellement.
Depuis le début du mandat Thiaw, il a passé un cap en sélection. Il a eu plus de liberté pour être présent dans la surface adverse et est devenu une vraie menace de seconde intention, et cela change toute la dimension offensive de l’équipe, puisqu’il est même l’un des deux meilleurs buteurs des Lions lors dans ces éliminatoires du Mondial. »
Le dossier brûlant : La défense, une forteresse à colmater
Si l’attaque gagne en séduction, la défense, pilier de l’ère Cissé, montre des signes de fébrilité qui alarment les spécialistes. « Le problème du latéral droit est une bombe à retardement », souligne monsieur Sadio « On joue avec des solutions de fortune parce que Krepin Diatta n’est pas un latéral de prédilection. Il fait de bons matchs, mais il dépanne en vérité, il nous faut un vrai latéral droit de métier pour compenser certaines failles. Mettre un central ou un milieu pour combler le couloir, c’est acceptable face à une nation modeste, mais face à un adversaire de haut vol, avec un ailier rapide et technique, cela deviendra un point de fixation désastreux. La priorité absolue est de trouver un spécialiste. »
L’autre sujet est celui de la charnière centrale. Kalidou Koulibaly, le roc, montre des signes de fatigue. « Kalidou Koulibaly reste un immense joueur, son leadership est intangible », tempère Chérif Sadio. « Mais il n’a plus l’explosivité physique de ses 25 ans. Il compense par une intelligence de jeu phénoménale et sa grande capacité de réduction des écarts pour la couverture, mais il a besoin d’un partenaire ultra-athlétique constant à ses côtés. Moussa Niakhaté le fait bien, mais la question de la doublure de Koulibaly s’impose. Il faut déjà commencer à penser à sa possibilité de prendre la retraite d’ici deux ans peut-être »
Ce partenaire, c’est Moussa Niakhaté, insiste Chérif. « Il rassure énormément par son calme et sa sérénité, son leadership également. « Il est rapide, bon de la tête et gaucher : c’est le profil parfait. L’avenir de la défense sénégalaise passe par lui. » Le jeune El Hadji Malick Diouf, malgré des prestations prometteuses, est, lui, pointé du doigt par certains observateurs pour son manque d’expérience. « Certes, il se perd parfois dans le positionnement, mais c’est un peu normal à son âge et au vu de sa trajectoire. Il faut le protéger et ne pas lui mettre trop de pression trop tôt. Il vient d’arriver, il est jeune, mais il apprend vite. »
Gestion de groupe : La main de maître de l’ancien
Le plus grand défi de Pape Thiaw n’est peut-être pas tactique, mais humain. Comment gérer la transition entre une génération dorée vieillissante et une nouvelle vague ultra-talentueuse ? « Jusqu’ici, sa gestion est exemplaire », estime notre consultant. « Il parle le langage des anciens parce qu’il est l’un des leurs. Il n’a pas révolutionné le groupe du jour au lendemain. Sadio Mané, Idrissa Gana Gueye, Kalidou Koulibaly et Edouard Mendy restent des piliers centraux, des assistants même du sélectionneur qu’il est devenu. Heureusement qu’il introduit bien les jeunes progressivement, leur donne du temps de jeu dans un contexte bienveillant, comme Habib Diarra, par exemple. Il construit leur crédibilité sans braquer les cadres. C’est un exercice d’équilibriste qu’il mène avec une grande intelligence. Ce qui est plaisant et rassurant, c’est de voir les cadres accepter les décisions, malgré les enjeux. »
Le verdict des spécialistes : Un optimisme prudent
L’avis est unanime : le projet est encourageant, mais la route est semée d’embûches. « Le public doit être patient parce que l’Etat est en train de revenir en force et nous avons pu le constater contre la République Démocratique du Congo, malgré les circonstances et le contexte. », prévient l’ex-directeur du Casa Sports. « On ne change pas une culture tactique en six mois. Thiaw apporte une petite bouffée d’air offensif un peu plus plaisante, mais les bases défensives d’Aliou Cissé (Ndlr : actuel sélectionneur de la Libye) doivent rester notre colonne vertébrale parce que c’est le socle, voire même le ciment de notre équipe. Le vrai test, ce sera de montrer à la Coupe d’Afrique, ce caractère de gagneur qu’on a vu contre la RD Congo à Kinshasa, lors des éliminatoires de la Coupe du Monde (2-3) et lors des matches amicaux où les Lions ont plié l’Angleterre et l’Écosse. »
Pour monsieur Sadio « l’exigence du résultat est immédiate et c’est mentionné dans le contrat du sélectionneur par l’Etat, avait révélé la ministre des sports Mme Ndeye Khady Diène Gaye. Sur le plateau de « Naay Leer » de la RTS1 il y a quelques jours. Le Sénégal n’a pas le droit à l’erreur cette fois-ci. La marge de manœuvre de Thiaw est mince : il doit gagner en jouant encore mieux. C’est le contrat le plus difficile qui soit. Les premiers signes sont positifs, mais le plus dur reste à venir. Mais je suis optimiste. », clôture Chérif Sadio.
Une chose est sûre : Pape Thiaw a réussi son premier pari, celui de ne pas céder à la panique après un changement d’ère. Il trace sa route, en équilibre entre l’héritage d’un géant et la promesse d’un avenir rugissant. Le spectacle est en marche dans les éliminatoires de la Coupe du Monde où le Sénégal (18 points) a repris la première place du groupe devant le Congo (16 points), le Soudan (12 points), le Togoo (7 points, la Mauritanie (6 points) et le Soudan du Sud (4 points), mais la victoire, elle, reste la seule véritable exigence lors des deux prochaines et dernières rencontres des éliminatoires du Mondial 2026, sans oublier le sacre au Maroc qui reste une exigence contractuelle de l’Etat.
